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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/716

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REVUE DES DEUX MONDES.

de sa vie, le tuteur prit un air mécontent, et dit avec brusquerie : Ma nièce, quelle toilette avez-vous-là ! de bonne foi, croyez-vous être habillée !!

— Mais, mon oncle, cette robe est celle que vous aimiez tant.

— Non, cela n’est pas possible ; elle est hors de mode, et vous sied mal.

— Peut-être ! mais il n’y a pas quinze jours qu’à Genève vous m’avez dit tout le contraire.

— Bah !… bah !… à Genève ? Nous sommes à Paris ; le goût est tout autre ici, et vous auriez dû vous en apercevoir avant moi.

— Mon oncle, vous êtes bien injuste, dit la jeune fille d’une voix émue ! Sans vos ordres, pouvais-je penser à changer ce que vous trouviez bien, et d’ailleurs en ai-je eu le temps ?

Il y eut un moment de silence, durant lequel Auberti s’aperçut que Sophie avait les larmes aux yeux ; sa mauvaise humeur se calma aussitôt, et il reprit d’un ton plus doux : — C’est bien, mon enfant ; mais si tu m’en crois, tu jetteras tes vieilles nippes par la fenêtre, tu feras venir des étoffes, et tu prendras les modes qu’on suit ici.

— Volontiers, mon oncle, je ferai ce que vous dites ; mais n’ayez pas trop d’ambition pour moi, si vous voulez que je vous paraisse bien !

Ces dernières paroles frappèrent M. Auberti ; en examinant avec plus d’attention la toilette de sa nièce, il se convainquit de son injustice. Sophie était réellement aussi bien qu’elle pouvait l’être, et la simplicité de sa mise ne lui ôtait rien de ses avantages naturels ; son tuteur l’aurait trouvée charmante, si, en ce moment, par une disposition d’esprit dont lui-même ne se rendait pas bien compte, il n’eût pas désiré en elle des perfections trop au-dessus de la réalité.

Lorsque Auberti et sa nièce entrèrent dans le salon de madame Necker, plusieurs hommes s’y trouvaient déjà. La première personne qui frappa les yeux du Génevois fut le comte de Morvelle. Il eut peine à contenir un vif mouvement de satisfaction, en voyant que la présence du comte réalisait au moins, une partie de ses espérances de la journée. Tous les deux se saluèrent avec un égal empressement, et Sophie reçut du jeune colonel une inclination