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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/723

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PHILIPPE DE MORVEL.

— Mon prince, vous ferez tout dans une nuit, et le roi de France viendra trop tard.

« Voilà qu’un samedi soir toute l’armée, infanterie et cavalerie, approche de Genève, et s’arrête à Plain-Palais. Il y avait trois cents hommes d’élite équipés pour l’escalade, couverts de fer de la tête aux pieds, le coutelas au poing et les pistolets à la ceinture. Leurs armures étaient peintes en noir ; ils portaient des échelles noires et des lanternes sourdes, des haches pour couper les chaînes des ponts, et des pétards pour faire sauter les portes.

« Minuit sonne, et puis une heure : ils marchent vers la porte Neuve, entrent dans le fossé, le traversent, et vont planter trois échelles contre le mur du boulevard. Il en monte cent, et, après, cent autres, sans que personne les aperçoive ; ils se glissent derrière les arbres, et se serrent le long des maisons ; pendant ce temps-là, d’autres, en bas près de la porte, arrangent tout pour la faire sauter.

« Ils montaient toujours, et dans la ville rien ne bougeait ; enfin un soldat, de garde à la porte Neuve, entend du bruit, et crie : Qui va là ? Point de réponse. Il tire un coup ; le poste sort avec des flambeaux, voit l’ennemi et appelle aux armes ; aussitôt les Savoyards, forcés de se montrer, attaquent le corps-de-garde, y entrent, et se répandent dans les rues en criant : Vive Savoie ! ville gagnée ! tue, tue, tue ! à mort, à mort !

« Mais voilà que la scène va changer ; un des soldats de la porte Neuve, pour se sauver, gagne une galerie d’où l’on faisait tomber la herse, et, à tout hasard, il lâche la coulisse ; la herse en tombant tue le pétardier qui allait faire sauter la porte, pour donner passage à l’armée ; presque en même temps un canonnier, dont la pièce battait le long du fossé, tire, et, d’un premier coup, renverse et brise toutes les échelles.

« Le tocsin sonnait aux églises ; les bourgeois sortaient armés, et se battaient bravement contre les Savoyards ; un homme en chemise, malgré le froid, s’escrimait avec sa hallebarde ; un tailleur faisait des merveilles avec une épée à deux mains ; de toutes les fenêtres une grêle de balles pleuvait sur les escaladeurs. Ceux de Plain-Palais, au premier coup de canon, crurent que c’était le bruit de leurs pétards, et qu’ils trouveraient porte ouverte ; ils crièrent : ville gagnée ! au butin ! au pillage ! et tambour battant, se mirent