Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/728

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
722
REVUE DES DEUX MONDES.

coup plus poétique ; mais ce qui dut frapper surtout c’est le caractère et la destinée de cette jeune femme, sa puissance sur elle-même, à l’instant de la séparation. Ce vertige qui la saisit ensuite, et puis, à l’idée du péril de son mari, cette résolution subite qui épuise en un moment toutes les forces de la vie, ce meurtre qui cause la mort de celle qui l’exécute, comme si une main de femme ne pouvait tuer qu’à ce prix : tout cela est plein de poésie : mais il faut avouer que, si cette histoire est touchante, les grâces et la voix de l’historien viennent de lui prêter un charme de plus.

Mademoiselle de Risthal rougit un peu ; mais personne n’y fit attention.

— Je trouve, dit le marquis de Pezay, que ce coup de main, qui mit Genève à deux doigts de sa perte, pourrait fournir un bon chapitre au livre des grands évènemens produits par de petites causes.

— Par de petites causes, monsieur le marquis ! dit l’abbé Raynal ; oui, on peut trouver cela, si l’on regarde avec légèreté, si l’on s’arrête à la superficie, à des circonstances fortuites, comme la chute d’une herse, une marmite lancée à la tête d’un soldat, un coup de canon qui brise des échelles ; mais, derrière ces causes apparentes, il y en a une plus réelle, et dont la grandeur est sans mesure. Ce qui sauva Genève, ce fut l’esprit républicain, l’amour des lois avec la liberté. La liberté s’est levée au cri de ses enfans en danger ; elle a combattu et triomphé pour eux !

— Monsieur l’abbé, dit madame Necker, cette figure est belle en poésie ; mais sérieusement, je ne saurais voir, dans le secours donné à nos ancêtres, d’autre main que celle de Dieu.

À ces mots, le pasteur d’Albiac, jusque-là silencieux, quel qu’eût été le sujet de la conversation, parut s’animer tout à coup, et redressant sa tête blanche avec un geste semi-oratoire, il prit la parole :

— Vous dites bien, madame, c’est Dieu qui a tout fait, et parmi les délivrances de l’Ancien Testament, je n’en trouve pas de plus éclatante que celle-ci. Il a renversé les chariots de Pharaon, ses capitaines et ses hommes d’élite ; il a soufflé, et l’ennemi de son peuple a disparu comme la paille jetée au vent : humilions-nous de-