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MÉLANGES.

surtout des enfans, que leur inclination porte au divertissement et à l’oisiveté. Entre eux, ils mettent l’honneur et le mérite à s’éloigner le plus des rivages, et celui qui devance tous les autres en est le vainqueur. Dans cette sorte de combat, un enfant plus hardi que ses compagnons s’étant fort avancé, un dauphin se présente, et tantôt le précède, tantôt le suit, tantôt tourne autour de lui ; enfin le charge sur son dos, puis le remet à l’eau ; une autre fois il le reprend et l’emporte tremblant en pleine mer, mais peu après il revient à terre, et le rend au rivage et à ses compagnons. Le bruit s’en répand dans la colonie ; chacun y court, chacun regarde cet enfant comme une merveille ; on ne peut se lasser de l’interroger, de l’entendre, de raconter ce qui s’est passé. Le lendemain, le peuple entier se rend sur le rivage, les enfans se mettent à nager, et parmi eux celui dont je parle, Le dauphin revient à la même heure, et s’adresse au même enfant, celui-ci prend la fuite avec les autres ; le dauphin, comme s’il voulait le rappeler et l’inviter, saute, plonge, et fait cent tours différens. Le jour suivant, celui d’après, et plusieurs autres de suite, même chose arrive, jusqu’à ce que ces gens, nourris sur la mer, se font une honte de leur crainte ; ils approchent le dauphin, ils l’appellent, ils se jouent avec lui, ils le touchent : il se laisse manier. Cette épreuve les encourage, surtout l’enfant qui le premier en avait couru le risque ; il nage auprès du dauphin et saute sur son dos, il est porté et rapporté ; il se croit reconnu et aimé, il aime aussi ; ni l’un ni l’autre n’a de peur, ni n’en donne ; la confiance de celui-là augmente, et en même temps la docilité de celui-ci. Les autres enfans même l’accompagnent en nageant, et l’animent par leurs cris et par leurs discours. Avec ce dauphin en était un autre, et (ce qui n’est pas moins merveilleux) celui-ci ne servait que de compagnon et de spectateur ; il ne faisait, il ne souffrait rien de semblable ; mais il menait et ramenait l’autre comme les enfans menaient et ramenaient leur camarade. Chose incroyable et pourtant non moins vraie que tout ce qui vient d’être dit, ce dauphin qui jouait avec l’enfant, et qui le portait, avait coutume de venir à terre, et ne retournait à l’eau qu’après s’être séché et chauffé sur le sable ; lorsqu’il venait à sentir la chaleur, il se rejetait à la mer. Il est certain qu’Octavius Avitus, lieutenant du proconsul, mû par une vaine superstition, prit le temps que le dauphin était sur le rivage, pour faire répandre sur lui des parfums, et que la nouveauté de cette odeur le mit en fuite et le fit sauter dans la mer. Plusieurs jours s’écoulèrent depuis, sans qu’il parût. Enfin il revint d’abord languissant et triste, et peu après, ayant repris ses premières forces, il recommença ses jeux et ses tours ordinaires. Tous les magistrats des lieux circonvoi-