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plus, l’ouvrage aurait produit le plus grand effet ; mais, à Londres, la réponse ordinaire est qu’on n’a pas le temps, et tout le monde finit par s’accoutumer à entendre et à faire de mauvaise musique. Lablache, artiste consciencieux, effrayé par tout ce qu’il voyait et entendait, lorsqu’il dut débuter à King’s theatre, supplia M. Laporte de lui accorder la résiliation de son engagement ; « mais, disait-il ensuite, quand je vis le public applaudir les plus mauvaises choses, je compris qu’on avait raison de ne pas prendre plus de peine pour en faire de meilleures, et je fis comme tout le monde, au lieu de continuer une inutile lutte. »

L’existence de l’Opéra italien, dans les villes principales de l’Europe, n’est pas sans utilité pour les progrès de la musique dramatique des peuples qui l’admettent chez eux ; car les hommes de génie, qui se sont succédé en Italie jusqu’à Rossini, ont maintenu leur art dans un état d’avancement incontestable en quelques parties essentielles qui avaient été trop négligées par les musiciens des autres nations. L’adoption, faite avec discernement, des formes brillantes de leurs compositions, a beaucoup contribué au perfectionnement de ces choses dans la musique dramatique des Allemands et des Français. Les chanteurs italiens ont été d’ailleurs fort long-temps les maîtres des chanteurs de tous les pays ; aujourd’hui même, quoique bien déchus de leur ancienne gloire, ils leur servent encore de modèles. Ces modèles, soit sous le rapport du chant, soit sous celui de la composition, sont plus nécessaires aux Anglais qu’à tout autre peuple, parce que leur calme habituel les dispose moins à cultiver la musique, et surtout parce que l’absence d’institutions s’oppose chez eux aux progrès naturels de cet art. Il était donc nécessaire qu’il y eût à Londres un Opéra italien, et que la haute société fît les frais d’un spectacle si coûteux. Mais, d’un autre côté, il était difficile que, dans un pays où la mode a tant d’influence, dans un pays où les goûts de l’aristocratie sont une loi sous laquelle tout doit se plier ; il était difficile, dis-je, que le bien qui pouvait résulter de l’existence d’un Opéra italien ne fût pas détruit par la préférence exclusive que les nobles et les riches lui accordent. Ce n’est pas que ceux-ci soient capables de sentir ni de comprendre le mérite de la musique italienne ; ils sont, à cet égard, encore moins avancés que leurs pareils de Paris ou de Vienne ;