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Certains de la faveur publique, ces acteurs exigent des sommes considérables qui ruinent les entrepreneurs. Par exemple, Braham, malgré ses soixante-trois ou quatre ans, reçoit vingt-cinq guinées chaque soirée ; madame Wood ne coûte pas beaucoup moins et les autres chanteurs sont payés dans cette proportion. Qu’en résulte-t-il ? Le besoin d’une économie excessive sur ce que le public n’est pas en état d’apercevoir. Il ne faut donc pas être étonné si les orchestres de Drury-Lane et de Covent-Garden sont inférieurs à ceux du théâtre des Variétés ou du Gymnase, à Paris, et si les chœurs ne sont guère meilleurs. Il est facile d’imaginer l’effet de tout cela quand on joue Oberon, la Dame Blanche, ou la Muette de Portici. À Drury-Lane, j’ai vu M. Tom Cooke être à la fois directeur de musique, chef d’orchestre et acteur pour les rôles de second tenor, lorsqu’il y en avait un dans l’opéra. Si le personnage ne devait paraître qu’au second acte, il dirigeait l’orchestre pendant le premier, cédait ensuite sa place à quelque misérable violon, revenait plus tard, enveloppé d’une redingote, pour battre la grosse caisse dans quelque passage obligé, parce qu’il n’y avait personne pour remplir cet emploi, ou venait prêter son secours aux contrebasses. Voilà comme la musique est traitée à l’Opéra anglais.

L’économie des entrepreneurs s’exerce sur des objets plus importans encore, et qui ont une influence plus directe sur le sort de la musique en Angleterre : je veux parler de ce qui concerne les droits des compositeurs. Les pastiches, composés de morceaux traduits de l’italien et de quelques airs anglais, furent pendant long-temps les seuls opéras qu’on représentait sur les théâtres nationaux. Purcell, et après lui Arne et Arnold, composèrent enfin des opéras dont toute la musique était anglaise. La fortune du premier était assez considérable pour qu’il ne songeât qu’à la gloire qu’il devait retirer de ses ouvrages ; les deux autres ne considérèrent le théâtre que comme un léger accessoire de leur revenu, car la vente des airs de leurs opéras était tout le bénéfice qu’ils en tiraient. Depuis lors, le même visage s’est perpétué, et les compositeurs n’ont jamais obtenu des entrepreneurs le moindre prix de leur travail, en sorte qu’un musicien qui voudrait se livrer à la carrière du théâtre en serait détourné par la certitude qu’il ne peut y avoir d’avenir pour lui dans cet emploi de son talent. La langue anglaise