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IMPRESSIONS DE VOYAGES.

pos pour Genève. Pendant ce temps, son commerce, qui date de cette époque, prit un tel accroissement, qu’aujourd’hui l’industrie est tout et la propriété territoriale rien. Si tous les citoyens du canton réclamaient leur part du sol, à peine si chacun d’eux en obtiendrait dix pieds carrés.

Napoléon trouva Genève réunie à la France, et l’attacha pendant douze ans comme une broderie d’or au coin de son manteau impérial. Mais lorsqu’en 1814, les rois tiraillèrent entre eux ce manteau, tous les morceaux cousus par l’empire leur restèrent aux mains. Le roi de Hollande prit la Belgique, le roi de Sardaigne la Savoie et le Piémont, l’empereur d’Autriche l’Italie. Restait encore Genève, que personne ne pouvait prendre et qu’on ne voulait pas laisser à la France : un congrès en fit cadeau à la Confédération suisse, à laquelle elle fut agrégée sous le titre de vingt-deuxième canton.

Parmi toutes les capitales de la Suisse, Genève représente l’aristocratie d’argent ; c’est la ville du luxe, des chaînes d’or, des montres, des voitures et des chevaux. Ses trois mille ouvriers alimentent l’Europe entière de bijoux ; soixante-quinze mille onces d’or et cinquante mille marcs d’argent changent chaque année de forme entre leurs mains, et leur seul salaire s’élève à 2,150,000 francs.

Le plus fashionable des magasins de bijouterie de Genève est sans contredit celui de Beautte : il est difficile de rêver en imagination une collection plus riche de ces mille merveilles qui perdent une âme féminine : c’est à rendre folle une Parisienne, c’est à faire tressaillir d’envie Cléopâtre dans son tombeau.

Ces bijoux paient un droit pour entrer en France ; mais, moyennant un courtage de cinq pour cent, M. Beautte se charge de les faire parvenir par contrebande : le marché entre l’acquéreur et le vendeur se fait à cette condition, tout haut et publiquement, comme s’il n’y avait pas de douaniers au monde. Il est vrai que M. Beautte possède une merveilleuse adresse pour les mettre en défaut : une anecdote sur mille viendra à l’appui du compliment que nous lui faisons.

Lorsque M. le comte de Saint-Cricq était directeur général des douanes, il entendit si souvent parler de cette habileté, grâce à laquelle on mettait la vigilance de ses agens en défaut, qu’il résolut