Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 3.djvu/199

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
193
LA BRETAGNE.

désespérait presque, il s’est trouvé des poitrines et des têtes bretonnes plus dures que le fer de l’étranger. Quand les hommes du Nord couraient impunément nos côtes et nos fleuves, la résistance commença par le breton Noménoé. Les Anglais furent repoussés au quatorzième siècle par Duguesclin ; au quinzième, par Richemont ; au dix-septième, poursuivis sur toutes les mers par Duguay-Trouin. Les guerres de la liberté religieuse et celles de la liberté politique n’ont pas de gloires plus innocentes et plus pures que Lanoue et Latour-d’Auvergne, le premier grenadier de la république. C’est un Nantais, si l’on en croit la tradition, qui aurait poussé le dernier cri de Waterloo : La Garde meurt et ne se rend pas.

Le génie de la Bretagne, c’est un génie d’indomptable résistance et d’opposition intrépide, opiniâtre, souvent aveugle ; témoin Moreau, l’adversaire de Bonaparte. La chose est plus sensible encore dans l’histoire de la philosophie et de la littérature. Le breton Pélage, qui mit l’esprit stoïcien dans le christianisme, et réclama le premier dans l’église en faveur de la liberté humaine, eut pour successeurs le breton Abailard et le breton Descartes. Tous trois ont donné l’élan à la philosophie de leur siècle. Toutefois, dans Descartes même, le dédain des faits, le mépris de l’histoire et des langues, indique assez que ce génie indépendant, qui fonda la psychologie et doubla les mathématiques, avait plus de vigueur que d’étendue[1].

Cet esprit d’opposition, naturel à la Bretagne, est marqué au dernier siècle et au nôtre par deux faits contradictoires en apparence. La même partie de la Bretagne (Saint-Malo, Dinan et Saint-Brieuc) qui a produit, sous Louis xv, les incrédules Duclos, Maupertuis et Lamétrie, a donné, de nos jours, au catholicisme son poète et son orateur, Châteaubriant et Lamennais.

Jetons maintenant un rapide coup-d’œil sur la contrée.

À ses deux portes, la Bretagne a deux forêts, le Bocage normand

  1. Il a percé bien loin sur une ligne droite, sans regarder à droite ni à gauche ; et la première conséquence de cet idéalisme qui semblait donner tout à l’homme, fut, comme on le sait, l’anéantissement de l’homme dans la vision de Mallebranche et le panthéisme de Spinosa.