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LA BRETAGNE.

ray, la ville sainte des chouans, pour visiter à quelques lieues les grands monumens druidiques de Loc Maria Ker et de Carnac. Le premier de ces villages, à l’embouchure de la sale et fétide rivière d’Auray, avec ses îles du Morbihan, plus nombreuses qu’il n’y a de jours dans l’an, regarde par-dessus une petite baie la plage de Quiberon, de sinistre mémoire. Il tombait du brouillard, comme il y en a sur ces côtes la moitié de l’année. De mauvais ponts sur des marais, puis le bas et sombre manoir avec la longue avenue de chênes qui s’est religieusement conservée en Bretagne ; des bois fourrés, où les vieux arbres même ne s’élèvent jamais bien haut ; de temps en temps un paysan qui passe sans regarder ; mais il vous a bien vu avec son œil oblique d’oiseau de nuit. Cette figure explique leur fameux cri de guerre, et le nom de chouans, que leur donnaient les bleus. Point de maisons sur les chemins ; ils reviennent chaque soir au village. Partout de grandes landes, tristement parées de bruyères roses et de diverses plantes jaunes ; ailleurs, ce sont des campagnes blanches de sarrasin. Cette neige d’été, ces couleurs sans éclat et comme flétries d’avance, affligent l’œil plus qu’elles ne le récréent, comme cette couronne de paille et de fleurs dont se pare la folle d’Hamlet. En avançant vers Carnac, c’est encore pis. Véritables plaines de rocs où quelques moutons noirs paissent le caillou. Au milieu de tant de pierres, dont plusieurs sont dressées d’elles-mêmes, les alignemens de Carnac n’inspirent aucun étonnement. Il en reste quelques centaines debout, la plus haute a quatorze pieds[1].

Le Morbihan est sombre d’aspect et de souvenirs ; pays de vieilles haines, de pèlerinages et de guerre civile, terre de caillou et race de granit. Là, tout dure ; le temps y passe plus lentement. Les prêtres y sont très forts. C’est pourtant une grave erreur de croire que ces populations de l’ouest, bretonnes et vendéennes, soient profondément religieuses : dans plusieurs cantons de l’ouest, le saint qui n’exauce pas les prières, risque d’être vigoureusement

  1. Dans le magnifique ouvrage de M. O’Higgins (Celtic Druids, in-4o 1829), les dimensions sont fort exagérées; il porte à vingt-quatre pieds la hauteur des principales pierres de Carnac.