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LA BRETAGNE.

de l’ancien monde, ait fait quelques efforts dans les derniers temps pour prolonger encore sa nationalité ; elle l’a défendue de même au moyen-âge. Pour que l’Anjou prévalût au douzième siècle sur la Bretagne, il a fallu que les Plantagenet devinssent, par deux mariages, rois d’Angleterre et ducs de Normandie et d’Aquitaine. La Bretagne, pour leur échapper, s’est donnée à la France ; mais il a fallu encore un siècle de guerre entre les partis français et anglais, entre les Blois et les Montfort. Quand le mariage d’Anne avec Louis xii eut réuni la province au royaume, quand Anne eut écrit sur le château de Nantes[1] la vieille devise du château des Bourbons (Qui qu’en grogne, tel est mon plaisir), alors commença la lutte légale des États, du parlement de Rennes, sa défense du droit coutumier contre le droit romain, la guerre des privilèges provinciaux contre la centralisation monarchique. Comprimée durement par Louis xiv[2], la résistance recommença sous Louis xv, et La Chalotais, dans un cachot de Brest, écrivit avec un cure-dent son courageux factum contre les jésuites.


Aujourd’hui la résistance expire, la Bretagne devient peu à peu toute France. Le vieil idiome, miné par l’infiltration continuelle de la langue française, recule peu à peu[3]. Le génie de l’improvisation poétique, qui a subsisté si long-temps chez les Celtes d’Irlande et d’Écosse, qui, chez nos Bretons même, n’est pas tout-à-fait éteint, devient pourtant une singularité rare. Jadis, aux demandes de mariage, le bazvalan[4] chantait un couplet de sa composition, la jeune fille répondait par quelques vers ; aujourd’hui ce sont des

  1. Daru, Histoire de Bretagne, t. ii.
  2. Voy. les lettres de madame de Sévigné, 1675, de septembre en décembre. Il y eut un très grand nombre d’hommes roués, pendus, envoyés aux galères. Elle en parle avec une légèreté qui fait mal.
  3. Selon M. Romieu, sous-préfet de Quimperlé, on peut mesurer combien de lieues la langue bretonne perd dans un certain nombre d’années.
  4. Le bazvalan était celui qui se chargeait de demander les filles en mariage. C’était le plus souvent un tailleur qui se présentait avec un bas bleu et un bas blanc.