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REVUE. — CHRONIQUE.

— J’ai envoyé hier, à bord de la Barham, répondit Bailey, trois hommes qui voulaient s’y embarquer, uniquement parce que vous devez être du voyage.

— Ils seront du moins sur un bon navire et sous les ordres d’un bon capitaine, j’en suis sûr, répliqua sir Walter.

— Voilà certainement qui est flatteur, continua-t-il, quand la porte fut fermée ; mais je maintiens que le plus grand honneur que m’ait jamais valu ma célébrité, m’a été rendu la semaine dernière, par un marchand de poisson de Londres, à qui le domestique de l’hôtel où je demeurais s’adressa pour avoir un peu de turbot pour le dîner : comme il était tard, il n’en restait point ; mais le domestique ayant fait connaître à qui le turbot était destiné, le marchand s’écria que cela changeait la question, et que s’il y avait moyen d’en trouver un morceau à Londres, par faveur ou pour de l’argent, je n’en manquerais pas. Notre homme se mit alors en quête du poisson, et fit le trajet depuis Billingsgate jusqu’à la place de Sussex dans Regent’s Park, pour l’apporter à l’hôtel. Maintenant si ce n’est pas là une réputation littéraire positive, je ne m’y connais pas ! »

« La mauvaise santé de sir Walter l’empêchait de faire beaucoup d’exercice. Il se plaignait surtout de la faiblesse de ses jambes ; mais il s’arrangeait néanmoins de manière à faire chaque jour une promenade sur les remparts entre la plate-forme et le bastion du sud-ouest, celui sur lequel flotte le pavillon. Il avait coutume de se lever entre six et sept heures du matin ; il descendait ensuite au parloir, et se mettait à écrire son journal sur un épais volume in-quarto, relié en veau. J’avais soin d’être toujours levé et habillé avant qu’il sortît de sa chambre, afin de lui offrir mon bras ; car, sans cette assistance, il lui était souvent difficile de marcher. Je le vis une fois essayer de se rendre seul et même sans sa canne, de la table où nous déjeunions à celle sur laquelle était placé son pupitre, mais ce fut un pénible effort pour lui, et je l’entendis prononcer ces mots avec plus d’amertume qu’il n’en mettait d’ordinaire dans ses discours : « Il est dur de recommencer à soixante ans la vie que j’ai menée à dix, après ma grande maladie. »

« Un matin, il me dit en me montrant son volume manuscrit : « Tenez-vous un journal ? Je suppose que vous n’avez pas manqué de le faire dans tout le cours de votre vie. » Je lui dis quelle avait été mon habitude à cet égard, et j’ajoutai quelques mots sur la difficulté de composer, lorsqu’on est occupé des soins de l’impression.

— Oui ! oui ! c’est vrai, répondit-il avec un soupir, ce n’est que trop