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ment libre, j’ai des raisons de croire que son ardent et chevaleresque désir de s’acquitter de dettes qui eussent réduit au désespoir la plupart des hommes, le porta à dépasser de beaucoup les judicieuses limites qu’il regardait non-seulement comme nécessaires à sa santé, mais encore à la qualité de ses écrits. J’ai même appris que, sur la fin, excité par le même noble motif, il travaillait pendant dix, douze et même quatorze heures de suite par jour, au lieu de cinq ou six ; et plusieurs expressions qui lui échappèrent à Portsmouth me donnent la certitude qu’il attribuait le délabrement de sa santé principalement à cette cause.

« J’ai déjà dit que, pendant les trois derniers jours de son séjour à Portsmouth, sir Walter se ranima ou reprit, comme on dit vulgairement, d’un manière étonnante. La gaîté reparut dans ses regards et ses discours, il plaisantait et racontait ses vieilles histoires avec autant de verve qu’il l’eût jamais fait à ma connaissance. Vers la même époque, il commença à parler avec intérêt de son voyage, et son œil brillait du même éclat que par le passé, lorsqu’il nous entretenait de la probabilité qu’il avait de visiter les pyramides d’Égypte, et peut-être, Athènes et Constantinople. Dans ces momens, et lorsqu’il était assis, un étranger eût pu croire qu’il n’y avait rien à craindre pour lui : mais lorsqu’il se levait ou essayait de se lever, sa faiblesse ne devenait que trop évidente. Un soir, après avoir causé pendant une heure avec la plus grande vivacité, il témoigna le désir de se retirer ; mais, quoique je lui eusse donné le bras et que je l’aidasse de tout mon pouvoir, ce ne fut qu’au troisième effort qu’il vint à bout de se tenir sur ses pieds. Pendant ces tentatives, je l’entendis murmurer à voix basse : « Cette maudite faiblesse ne fait qu’augmenter ! » et, après une pause, il ajouta : « N’est-il pas affreux qu’au moment même, au premier moment de ma vie où je puis me regarder comme libre d’aller où bon me semble et de faire ce qui me plaît, je sois ainsi empêché et hors d’état de traverser la rue, y eût-il de l’autre côté la plus grande curiosité du monde à voir ? »

« Le lendemain matin cependant, le 28 octobre, j’étais assis dans le parloir vers les six heures et demie, lorsque je le vis s’avancer d’un pas assez ferme, et en jouant avec sa canne ; il me pria de lui donner le bras pour le conduire sur les remparts où il voulait jouir, en se promenant, de la beauté de la matinée. En arrivant sur la plate-forme, il s’arrêta :

— Maintenant, me dit-il, montrez-moi l’endroit où Jack le peintre a été pendu.

« Je lui désignai le lieu où se trouve aujourd’hui un poteau ou signal de pilote dans l’intérieur de Blockhouse point, là même où je me rappelle avoir