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REVUE. — CHRONIQUE.

vu les os de Jack suspendus à des chaînes, vingt-neuf ans auparavant, lorsque je m’embarquai pour la première fois comme midshipman. Il semblait si familier avec tous les exploits de Jack le peintre, surtout avec sa tentative d’incendier l’arsenal, que je lui demandai s’il avait lu récemment cette histoire. « Il y a, pour le moins, trente ou quarante ans que cela m’est arrivé, répondit-il. »

« À mesure que nous suivions lentement les remparts, il regardait souvent du côté de Spithead ; enfin il fit une pause et me pria de lui montrer la place où avait coutume de mouiller le célèbre Royal William pendant la dernière guerre.

— Où le Royal Georges a-t-il sombré ? demanda-t-il ensuite. » Je lui fis remarquer la bouée ; sur quoi, comme s’il eût cherché dans sa mémoire, il se mit à réciter d’une voix si basse, qu’on pouvait à peine l’entendre, un vers ou deux du poème de Cooper sur cette triste catastrophe :

Ses doigts tenaient la plume : son épée…

— Non, dit-il en se reprenant, ce n’est pas cela :

Son épée était dans le fourreau ;
Ses doigts tenaient la plume,
Quand Kempenfeldt descendit dans l’abîme
Avec deux fois quatre cents hommes.

« Pendant tout le cours de cette promenade, sir Walter se montra plein de gaîté et raconta cinq ou six de ses meilleures histoires et dans son meilleur style. Je les connaissais, à la vérité, pour la plupart ; mais la forme en était nouvelle et leur sel aussi piquant que jamais. Il y en eut cependant une sur lui-même que je n’avais pas encore entendue, et qui, je crois, a été publiée depuis, dans un des volumes de la nouvelle édition de ses œuvres. À l’âge de deux ans, il fut, à ce qu’il paraît, confié aux soins d’une femme de charge et envoyé à la campagne chez son grand-oncle, pour rétablir sa santé, car il était alors dans un état de faiblesse et de rachitisme inquiétant ; « mes souffrances, me dit-il, furent sur le point d’être promptement terminées, car ma garde, dont la tête avait été dérangée par quelque amour contrarié ou toute autre cause, résolut de me donner la mort. Pour accomplir son dessein, elle me porta dans les marais, et, après m’avoir déposé sur la bruyère, elle tira ses ciseaux et se mit en devoir de me couper la gorge.