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sont capables d’invention, d’art à proprement parler, doués d’imagination, de conception en sus de leur sensibilité ; qui possèdent cet organe applicable à divers sujets, qu’on nomme le talent. Et il y a ceux en qui ce talent n’est nullement distinct de la sensibilité personnelle, et qui, par une confusion un peu débile mais touchante, ne sont poètes qu’en tant qu’amans et présentement affectés. M. Ulric Guttinguer, dans une épître adressée à M. Hugo, a dit avec bonheur :


.......... Il est une race bénie,
Qui cherche dans le monde un mot mystérieux,
Un secret que du ciel arrache le génie,
Mais qu’aux yeux d’une amante ont demandé mes yeux.


Mme Desbordes-Valmore aussi est toute poète par l’amour. Son talent est lié à sa passion comme l’écho à la vague du rivage, comme la vague au lac désolé. Si ce talent n’a pas cessé de gémir et de grandir, c’est que l’âme elle-même, après tant de flots versés, s’est trouvée inépuisable :


Car je suis une faible femme,
Je n’ai su qu’aimer et souffrir ;
Ma pauvre lyre, c’est mon âme…


Tout enfant, aux environs de Douai où elle est née, sur les rives de cette Scarpe accoutumée, ce semble, à moins de rêverie, la jeune Hélène aimait déjà. Comme elle nous le dit en vraie fille de Lafontaine, à quelque chère idole en tout temps asservie, elle aimait une fleur, elle adorait quelque arbrisseau ; elle lui parlait à genoux, lui confiait ses peines, jouissait des mêmes printemps ou souffrait des mêmes vents d’hiver. Jugez quand ce fut lui, quand l’idéal un moment fut trouvé ; alors les orageuses amours commencèrent, la vie devint errante. Elle pleura son amie d’enfance, Albertine qui mourait ; elle eut Délie qui fut une autre amie pour elle ; mère, elle aima, elle pleura sur un berceau et fit de charmans récits et des prières. Mais ce fut lui surtout, lui fidèle ou infidèle, digne ou indigne, qu’elle aima sans cesse, qu’elle suivit, qu’elle