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à triple serrure qui contenaient ses richesses en or monnayé, en vases et en bijoux précieux, là aussi qu’il accomplissait les principaux actes de sa puissance royale. Il y convoquait en synode les évêques des villes gauloises, recevait les ambassadeurs des rois étrangers, et présidait les grandes assemblées de la nation franke, suivies de ces festins traditionnels parmi la race teutonique, où des sangliers et des daims entiers étaient servis tout embrochés, et où des tonneaux défoncés occupaient les quatre coins de la salle[1]. Tant qu’il n’était pas appelé au loin par la guerre contre les Saxons, les Bretons, ou les Goths de la Septimanie, Chlother employait son temps à se promener d’un domaine à l’autre. Il allait de Braine à Attigny, d’Attigny à Compiègne, de Compiègne à Verberie, consommant à tour de rôle, dans ses fermes royales, les provisions en nature qui s’y trouvaient rassemblées, se livrant, avec ses Leudes de race franke, aux exercices de la chasse, de la pêche ou de la natation, et recrutant ses nombreuses maîtresses parmi les filles des fiscalins. Souvent, du rang de concubines, ces femmes passaient à celui d’épouses et de reines, avec une singulière facilité.

Chlother, dont il n’est pas facile de compter et de classer les mariages, épousa de cette manière une jeune fille de la plus basse naissance, appelée Ingonde, sans renoncer d’ailleurs à ses habitudes déréglées, qu’elle tolérait, comme femme et comme esclave avec une extrême soumission. Il l’aimait beaucoup, et vivait avec elle en parfaite intelligence. Un jour elle lui dit : « Le roi, mon seigneur, a fait de sa servante ce qu’il lui a plu, et m’a appelée à son lit ; il mettrait le comble à ses bonnes grâces, en accueillant la requête de sa servante. J’ai une sœur nommée Arégonde et attachée à votre service ; daignez lui procurer, je vous prie, un mari qui soit vaillant et qui ait du bien, afin que je n’éprouve pas d’humiliation à cause d’elle. » Cette demande, en piquant la curiosité du roi, éveilla son humeur libertine. Il partit le jour même pour le domaine sur lequel habitait Arégonde, et où elle exerçait quelques-

  1. Cùm ergò ille ad prandium invitatus venisset, conspicit, gentili ritu, vasa plena cervisiæ domi adstare. Quod ille siscitans quid sibi vasa in medio posita vellent… (Ex vitâ sancti Vedasti, apud Rerum francic. script., tom. iii, pag. 373.)