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projets et les miens ; car c’est le propre de cette vie de voyage, si active qu’elle se consume en projets dans ses momens de repos.

Un homme, grand et beau, portant turban vert et benisch de même couleur, entra pendant ce temps ; c’était l’Algérien. Il laissa ses souliers sur les bords du tapis, alla s’asseoir sur le divan en déposant près de lui un benisch de plus qu’il portait sur son épaule (c’est une coutume des gens de loi), et nous salua tous à tour de rôle de ces formules banales en usage en Égypte.

Il avait une physionomie douce et affable, quoique sérieuse, un regard vif, perçant, je dirai accablant, et qu’il semblait éviter de fixer, regardant à droite et à gauche, plutôt que la personne à laquelle il parlait ; du reste, n’ayant rien de ces airs étranges qui dénotent des talens surnaturels, un métier de magicien. Habillé comme les écrivains ou les hommes de loi, il parlait fort simplement de toutes choses et même de sa science, sans emphase, ni mystère surtout, de ces expériences qu’il faisait ainsi en public, et qui semblaient à ses yeux plutôt un jeu à côté de ses autres secrets, qu’il ne faisait qu’indiquer dans la conversation.

On lui apporta la pipe et le café ; et, pendant qu’il parlait de son pays, de la guerre dont la France le menaçait (ce dont il semblait fort peu se soucier), on fit venir deux enfans sur lesquels il devait opérer.

Le spectacle alors commença. Toute la société se rangea en cercle autour de l’Algérien, qui fit asseoir un des enfans près de lui, lui prit la main, et sembla la regarder attentivement. Cet enfant, fils d’un Européen, était âgé de onze ans ; quoique habillé à l’européenne, il avait été élevé dans le pays, et parlait facilement l’arabe. Achmed, remarquant son inquiétude au moment où il tirait de son écritoire sa plume de jonc, lui dit : « N’aie pas peur, enfant, je vais t’écrire quelques mots dans la main, tu y regarderas, et voilà tout. » L’enfant se remit de sa frayeur, et l’Algérien lui traça dans la main un carré entremêlé bizarrement de lettres et de chiffres, versa au milieu une encre épaisse, et lui dit de chercher le reflet de sa figure. L’enfant répondit qu’il la voyait.

Le magicien demanda un réchaud qui fut apporté sur-le-champ, et déroula trois petits cornets de papier, qui contenaient différens ingrédiens qu’il jeta en proportion calculée sur le feu, de