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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 3.djvu/342

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REVUE DES DEUX MONDES.

tout l’intérêt qu’avait pour lui ce spectacle, qu’il semblait faire passer dans la vivacité et la naïve exactitude de ses réponses. — Comment est son cheval ? — Blanc, avec des plumes sur la tête. — Et le sultan ? — Il a une barbe noire, un benisch vert. — Venait ensuite une longue description de la suite, avec des détails circonstanciés, des particularités inaperçues, enfin toute une précision apparente qui ne pouvait laisser aucun doute que le spectacle qu’il racontait était réellement là sous ses yeux. En définitive, le sultan s’était assis dans sa tente, on lui avait apporté la pipe, tout le monde était à l’entour. — Maintenant, messieurs, dit l’Algérien tranquillement, nommez les personnes que vous désirez faire paraître, ayez soin seulement de bien articuler les noms, afin qu’il ne puisse y avoir d’erreur. — Nous nous regardâmes tous, et comme toujours dans ces momens, personne ne retrouva un nom dans sa mémoire. Shakespeare ! dit enfin le compagnon de voyage de lord P…, le major T… — Ordonnez au soldat d’amener Shakespeare, dit l’Algérien. — Amène Shakespeare, cria le petit d’une voix de maître. — Le voilà, ajouta-t-il après le temps nécessaire pour écouter quelques-unes des formules inintelligibles du sorcier. Notre étonnement serait difficile à décrire, aussi bien que la fixité de notre attention aux réponses de l’enfant. — Comment est-il ? — Il porte un bournous noir, il est tout habillé de noir, il a une barbe. — Est-ce lui ? nous demanda le magicien d’un air fort naturel ; vous pouvez d’ailleurs vous informer de son pays, de son âge. — Eh bien ! où est-il né, dis-je ? — Dans un pays tout entouré d’eau. — Cette réponse nous stupéfia. — Faites venir Cradock, ajouta lord P…, avec cette impatience d’un homme qui craint de se fier trop facilement à une supercherie. Le cavas l’amena. — Comment est-il habillé ? — Il a un habit rouge, sur la tête un grand tarbousch noir, et quelles drôles de bottes ! je n’en ai jamais vu de pareilles, elles sont noires et lui viennent par-dessus les jambes !

Toutes ces réponses, dont on retrouvait la vérité sous un embarras naturel d’expressions qu’il aurait été impossible de feindre, étaient d’autant plus extraordinaires, qu’elles indiquaient d’une matière évidente que l’enfant avait sous les yeux des choses entièrement neuves pour lui. Ainsi Shakespeare, avec le petit manteau noir de l’époque (qu’il appelait benisch, n’ayant pas d’autre