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nent inutiles et impuissans. Elle a beau faire, elle ne peut pas chasser de son cœur la compassion pour la souffrance. Elle ne peut demeurer sans pitié pour ces douleurs qu’elle ignorait, elle ne peut refuser l’imprudente sympathie de son cœur à ces promesses imprévoyantes et téméraires. Elle avait gémi sous l’empire absolu d’un maître de son choix. Elle s’était révoltée contre son impassible volonté, qui absorbait la vie de son esclave, sans jamais lui permettre d’entamer le domaine de sa pensée. Mais quand elle voit à ses genoux une âme jeune et confiante qui demande à obéir et à se dévouer, qui offre en holocauste sur l’autel du malheur son avenir tout entier, qui jure de gravir avec elle les sentiers escarpés où il lui plaira de marcher, Lélia commence à croire qu’elle a peut-être prononcé un anathème injuste et impie.

Un jour elle espère qu’elle pourra aimer, et que Dieu viendra en aide à son impuissance. Elle pleure sur le front d’un homme agenouillé, elle essuie avec ses cheveux les larmes qui se mêlent aux baisers. Elle prie avec ferveur, elle implore l’avarice du ciel pour la tiédeur de son sang. Le ciel refuse de l’entendre, elle repousse les caresses qu’elle avait appelées, elle se résigne de nouveau, elle redevient Lélia.

Sténio débute dans la vie. Son âme s’est nourrie assidûment d’espérance et de poésie. Il croit à l’amour, au bonheur, à la durée des promesses, à l’inviolable sainteté des sermens. Il remercie Dieu de sa naissance, il se glorifie dans sa jeunesse et sa beauté. Il prend possession du monde où il vient d’entrer, comme si ce monde était à lui. Il salue le soleil et les étoiles comme des lampes suspendues à la voûte d’un palais qui lui appartient. Il sent au dedans de lui-même la puissance d’aimer, de donner le bonheur, et son âme impatiente déborde en hymnes et en cantiques.

La première fois qu’il rencontre sur sa route une femme belle et grave, il ne s’inquiète pas de savoir pourquoi son œil est calme, pourquoi sa démarche est lente et mesurée, pourquoi sa lèvre prononce toutes les paroles sans frémissement. Il la voit triste et il veut la consoler. Il croit que la douleur a besoin d’être soutenue, et il lui offre son appui. Il ignore, le pauvre enfant, que souvent les peines amères se complaisent dans la solitude, et s’obstinent à refuser le dévoûment qui veut les secourir.