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LÉLIA.

pourquoi n’a-t-il pas offert son dévoûment et sa soumission à une âme encore neuve, qui n’aurait pas eu de secret à cacher, qui lui aurait livré, sans réserve, tous les trésors de sa conscience, qui aurait mis sous ses yeux sa vie tout entière, souvenirs, espérance, humiliation et vanité ?

C’est que les choix du cœur ne se prescrivent pas ; c’est que l’adoration et la confiance ne se peuvent distribuer comme les lambeaux d’une tunique ; c’est que le bonheur de se sentir vivre dans un autre est si exquis et si poignant tout à la fois, qu’on a grand peine à le recommencer sur nouveaux frais ; c’est que la discrétion d’un cœur préféré vaut mieux encore que les épanchemens d’une âme vulgaire.

Trenmor a connu la plus terrible de toutes les passions, le jeu. Il avait en lui-même une puissance de génie et de volonté capable de réaliser les plus grandes pensées, les plus gigantesques entreprises. S’il avait été placé de façon à employer légitimement ses facultés éminentes, il aurait pu se donner à son gré la couronne du conquérant, le laurier du poète, l’autorité de la tribune ; il aurait pu gouverner les peuples, changer les lois, ébranler les trônes ou les raffermir, travailler à l’éducation des sociétés, marquer toutes ses journées par un acte de sagesse ou de force.

Mais, parmi les ambitions qui se trouvaient à sa portée, il ne s’en est pas rencontré une seule qu’il jugeât digne de convoitise et de fidélité, pas une à laquelle il voulût engager sa vie. Il a choisi le jeu comme un défi perpétuel porté à la destinée. Les méditations de la pensée, les inspirations et les extases de la fantaisie pouvaient n’exciter, parmi la foule, qu’une sympathie incertaine et passagère. À quoi bon risquer sa puissance pour un salaire aussi douteux ? à quoi bon aventurer, pour cette capricieuse récompense, tous les trésors de son énergie ?

Trenmor a préféré le jeu, pour ses émotions qui vieillissent en deux nuits plus que l’amour et l’ambition en dix années de triomphes et d’angoisses. Il a vu l’or ruisseler sous ses doigts en flots abondans et pressés. Il s’est vu riche à pouvoir acheter des nations, et le lendemain il n’avait pas un lit où poser sa tête, pas une table où s’asseoir.

Il a volé, il a été au bagne, il a souffert, il a porté courageuse-