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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 3.djvu/372

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REVUE DES DEUX MONDES.

douce. Ils ont marché long-temps n’apercevant au ciel aucun nuage, ils ont cru à l’éternelle sérénité de l’atmosphère où ils respiraient. L’orage les a surpris, et ils se sont prosternés pour implorer la puissance divine. Pour que leur prière soit exaucée, pour qu’ils méritent, par leur patience et leur résignation, d’être secourus de la bonté céleste, ils ont besoin d’abord d’une âme fraternelle, plus savante et plus sûre d’elle-même, façonnée au malheur, qui les conseille et les guide.

Ceux qui ont vécu, qui ont subi les tempêtes et compté les écueils, et qui pourtant se hasardent résolument sur les mers où ils ont échoué, appellent sur eux-mêmes le dédain et la raillerie s’ils désespèrent après un nouveau naufrage, l’admiration et l’enthousiasme s’ils abordent hardiment le danger, s’ils se laissent meurtrir sans pleurer, s’ils voient couler leur sang et se déchirer leurs membres sans blasphémer.

Si dans l’égarement de leur vanité ils ont cru que les vents contraires épargneraient leur navire, et se tairaient pour ne pas déranger leur voyage, ils sont fous, et notre pitié ne peut les atteindre. S’ils ont compté sur leur prudence pour défier le péril et dompter les flots obstinés, nos sarcasmes ne peuvent descendre jusqu’à eux pour les frapper.

Mais il y a des âmes énergiques pour qui la douleur est une excitation nécessaire ; il y a des caractères prédestinés qui ne peuvent se passer des émotions d’une lutte perpétuelle, qui n’auraient pas le courage de continuer à vivre si leurs journées étaient pareilles et harmonieuses, si leurs pas ne s’imprimaient que dans un sentier frayé. Il semble à ces caractères que le repos et l’uniformité dans le bonheur sont une lâcheté digne de mépris.

Je ne sais pas si Dieu leur tiendra compte de cette ardeur dévorante, je ne sais pas si l’éternelle sagesse ne jugera pas comme la sagesse humaine que ce gaspillage de force morale, loin d’être une magnificence imposante, n’est qu’une prodigalité insensée.

Quoi qu’il arrive, ils offrent en expiation de leurs fautes les tortures et les angoisses de leurs insomnies. Pour les condamner il faudrait ne pas les connaître. Pour leur faire l’aumône d’une amnistie, il faudrait ignorer que depuis long-temps ils se sont placés au-dessus de l’approbation aussi bien que du dédain.