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ROLLA.

L’âge où vous vous aimiez ! où le vent du matin
Sur l’échelle de soie, au chant de l’alouette,
Berçait vos longs baisers et vos adieux sans fin !
Quinze ans ! — l’âge céleste où l’arbre de la vie,
Sous la tiède oasis du désert embaumé,
Baigne ses fruits dorés de myrrhe et d’ambroisie,
Et pour féconder l’air, comme un palmier d’Asie,
N’a qu’à jeter au vent son manteau parfumé !
Quinze ans ! — l’âge où la femme, au jour de sa naissance,
Sortit des mains de Dieu si blanche d’innocence,
Si riche de beauté, que son père immortel
De ses phalanges d’or en fit l’âge éternel !

Oh ! la fleur de l’Éden, pourquoi l’as-tu fanée,
Insouciante enfant, belle Ève aux blonds cheveux ?
Tout trahir et tout perdre était ta destinée ;
Tu fis ton Dieu mortel, et tu l’en aimas mieux.
Qu’on te rende le ciel, tu le perdras encore.
Tu sais trop bien qu’ailleurs c’est toi que l’homme adore ;
Avec lui de nouveau tu voudrais t’exiler,
Pour mourir sur son cœur, et pour l’en consoler !

Rolla considérait d’un œil mélancolique
La belle Marion dormant dans son grand lit ;
Je ne sais quoi d’horrible et presque diabolique
Le faisait jusqu’aux os frissonner malgré lui.
Marion coûtait cher. — Pour lui payer sa nuit,
Il avait dépensé sa dernière pistole.
Ses amis le savaient ; — lui-même, en arrivant,
Il s’était pris la main, et donné sa parole,
Que personne au grand jour ne le verrait vivant.
Trois ans, — les trois plus beaux de la belle jeunesse,
Trois ans de volupté, de délire et d’ivresse,
Allaient s’évanouir comme un songe léger,
Comme le chant lointain d’un oiseau passager.
Et cette triste nuit, — nuit de mort, — la dernière,
Celle où l’agonisant fait encor sa prière,