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était faite pour être compromise, et il continua de faire élever les batteries et de les armer. À Dumouriez revient aussi l’honneur d’avoir tenté le premier de fermer la baie de Cherbourg, et de mettre en quelque sorte des portes à cette auberge de la Manche, qui jusque-là était restée tout ouverte. La pensée de ce projet appartient au maréchal de Vauban, mais il était bien hardi d’en essayer l’exécution à une pareille époque.

Tandis que Dumouriez garnissait de canons les positions avancées de la rade, M. de Caux, alors directeur des fortifications de Cherbourg, proposa de fermer cette rade par une digue, qui devait s’étendre de l’Île Pelée au fort du Homet, et qui ne laisserait à chacune de ses extrémités qu’une passe pour les vaisseaux. Cette digue eût fermé la seconde enceinte de Cherbourg, et les navires n’y eussent pénétré qu’en passant sous les feux des deux forts du Homet et de l’Île Pelée, qui se fussent croisés, au besoin, avec les feux des batteries qu’on eût établies sur les deux pointes de la digue projetée. Ce projet incomplet offrait un grand inconvénient. Il laissait à découvert la grande baie, la seule qui soit propre au mouillage des vaisseaux de guerre, qui n’eussent pas été protégés contre les attaques des ennemis, et il ne procurait un refuge qu’aux petits bâtimens, augmentant encore leurs dangers quand ils seraient poursuivis par des corsaires, vu la difficulté de pénétrer rapidement dans les passes nécessairement étroites de cette digue. La digue proposée par M. de Caux n’aurait eu en effet qu’une largeur d’environ mille toises.

Un capitaine de vaisseau, nommé La Bretonnière, qui connaissait jusqu’aux moindres accidens de la baie de Cherbourg, avait déjà conçu un plus vaste projet. C’est à peu de chose près celui qui a été mis à exécution sous le règne de Louis xvi, on peut même dire par Louis xvi, et continué par Napoléon. L’idée de La Bretonnière était immense. Il s’agissait d’établir à l’entrée de la grande baie, sur le terrain même de la haute mer, au-dessus des eaux profondes que franchissent les plus grands vaisseaux, une digue de quatre mille pieds de longueur avec trois passes ou ouvertures de cinq ou six cents toises chacune, et couronnée de quatre forts pour défendre ces passes. Cette digue devait enfermer la grande rade, et donner un mouillage sûr à quatre-vingt-dix vais-