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Ingénieurs et travailleurs, tout le monde était fort découragé. Le maréchal de Castries, ministre de la marine, vint alors à Cherbourg pour ranimer les esprits. Le roi s’était décidément pris d’enthousiasme pour la digue. M. de Castries ne répondit aux objections des ingénieurs, qu’en ordonnant la construction de dix nouveaux cônes, et il annonça que le roi allait venir en personne pour assister à l’immersion du troisième.

Le roi vint en effet à Cherbourg en 1786. Le comte d’Artois, son frère, qui devait un jour déposer sa couronne sur ce rivage, le précéda de quelques jours. Le lendemain de son arrivée, le roi se leva à trois heures du matin. Accompagné du maire, des échevins, des officiers de l’amirauté et du clergé avec l’étole et l’encensoir, il s’embarqua dans le port et vint déjeuner en rade sur la plate-forme d’un des cônes déjà immergés, qu’on avait planchetée et sur laquelle on avait dressé une tente. Ce cône, le seul dont il soit resté quelques vestiges, élève encore au-dessus des eaux sa pointe chargée de rocailles et de varrecks glissans. Quand vous rasez la surface de cette grande rade, on vous montre cette petite roche isolée où le roi tint son grand couvert, entouré de ses officiers, de sa cour et de son clergé. Le magnifique canot doré qui l’amena en ce lieu, existe encore. Napoléon, Marie-Louise, le duc d’Angoulême, se sont placés dans ce canot, toujours prêt, toujours frais et doré qui promène les princes heureux aux cris de la multitude, toujours joyeuse de les voir et empressée de les saluer. Quand vous irez à Cherbourg, vous pourrez contempler cette embarcation somptueuse, toute d’or et de velours, ornée de gracieuses figures allégoriques et de riches sculptures ; mais n’oubliez pas de vous faire montrer une modeste barque grise qui a transporté Charles x à bord d’un vaisseau américain, et qui a reçu don Pedro à la descente d’une frégate anglaise. Celle-là, il sera bon de la conserver non moins soigneusement ; elle pourra encore servir plus d’une fois tout aussi bien que l’autre.

Le lendemain, Louis xvi alla visiter l’anse d’Urville où les Anglais avaient débarqué en 1768 ; puis il quitta Cherbourg où les travaux furent poussés avec une activité nouvelle. On s’entretient encore dans les soirées d’hiver du spectacle qu’offrit cette rade, lorsqu’un roi de France y navigua sur son canot doré, au milieu