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Cherbourg est tout entier dans sa digue, comme l’Égypte était dans ses écluses. En arrivant dans la ville, par la route qui borde le port du commerce, vous apercevez déjà les petits chemins à rainures de fer, construits pour le transport des blocs de cette montagne, qu’on charge chaque jour partiellement sur de lourdes gabarres. Le départ et le retour continuel de ces tristes embarcations, mal gréées et délabrées par le poids des matériaux qui les affaissent, est malheureusement presque le seul signe d’activité que donne ce port, déserté depuis quelques années par les navires. À peine y voit-on quelques vaisseaux norwégiens apportant les énormes sapins du nord qui sont empilés sur la plage, quelques paquebots de Jersey ou de Guernesey, parquant sur leur tillac deux ou trois malheureux passagers au milieu d’un troupeau de bœufs et de moutons. De temps en temps, dans la belle saison, on voit arriver à Cherbourg les yachts somptueux du Club royal de la Tamise ; mais on n’y voit plus ces grands bâtimens du commerce, ces agiles voiliers américains, chargés de riches denrées, qui remplissent les bassins du Havre, et à moins, chose bien rare, qu’une division navale ne vienne jeter ses ancres dans la rade, rien n’y trouble le silence et le repos qui règnent sur les quais.

L’époque de la splendeur de Cherbourg est passée, passée avec Napoléon, qui avait tant de prédilection pour ce grand port, jeté sur un plan gigantesque, comme il aimait à les tracer lui-même.

Dans une des salles de l’arsenal maritime, on conserve un plan en relief que Napoléon fit exécuter avec un soin extrême. Tel devait être dans la pensée du grand homme le port de Cherbourg. La digue était en première ligne. Déjà en 1803, lorsque la partie centrale de la digue s’élevait à peine au-dessus des eaux de la rade de Cherbourg, Napoléon ordonna qu’une batterie de canons et de mortiers à grande portée y serait placée, et elle fut établie en dépit de toutes les objections qu’on vint lui faire. La batterie avait été placée au mois d’août ; vers le milieu du mois de septembre, une tempête enleva l’épaulement provisoire, et faillit noyer la garnison de soixante hommes qui y séjournait.

Les vents, si terribles dans cette baie, lorsqu’ils soufflent de la partie du nord-est et du nord-ouest, la violence des marées d’équinoxe, les tempêtes, rien ne put fléchir Napoléon. À mesure