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la ville offrit de faire courir son cheval contre un autre qui avait eu assez de succès les premiers jours, ce dernier galoppant tandis que le premier ne quitterait jamais l’amble. On devait faire cinq fois le tour du cirque, ce qui équivalait à une distance d’environ trois lieues. Le seul avantage que demandait l’homme qui devait aller l’amble, était que, pendant les deux premiers tours, le cheval galopant n’allât pas plus vite que le sien. Le pari n’eut pas de suites, mais les connaisseurs jugeaient que les conditions étaient assez égales, et c’était l’opinion non-seulement des Colombiens, mais aussi des étrangers qui avaient vécu quelque temps dans le pays.

Quoique les chevaux andons puissent fournir, sans paraître fatigués, une longue carrière, on a observé cependant qu’ils sont plutôt ruinés que les trotteurs. Cette allure a d’ailleurs le grand inconvénient de n’être praticable que dans de beaux chemins. Elle est enfin peu gracieuse, du moins aux yeux des Européens, en raison d’un mouvement de va-et-vient très prononcé que prend la croupe du cheval. Le corps du cavalier en reçoit un mouvement de torsion, qui ne fatigue pas quand on s’y prête, mais qui gêne beaucoup d’abord ceux qui n’y sont pas faits.

Il n’est pas très rare de rencontrer chez des chevaux nés dans les parties chaudes de l’Amérique, un cas de monstruosité dont les anciens avaient déjà signalé l’existence, mais que plusieurs naturalistes modernes ont regardé comme douteux. Pline, en parlant du cheval de César (liv. viii, chap. 42), dit que cet animal avait les pieds de devant semblables à ceux de l’homme, et qu’on le voit ainsi représenté devant le temple de Vénus Génitrix. Le savant annotateur de l’édition française dit, à l’occasion de ce passage, qu’apparemment la corne des pieds de devant était un peu échancrée sur les bords, et que le sculpteur aura exagéré cette conformation vicieuse pour simuler des doigts humains. Pour moi, je suis porté à croire que l’animal présentait une division réelle dans toute l’épaisseur du pied. Peu d’années avant mon arrivée à Bogota, toute la population a pu voir dans un des bosquets dressés au-devant de la cathédrale, à l’occasion de l’octave de la Fête-Dieu, un cheval qui avait les pieds de devant parfaitement bifurqués. Cette conformation, qui rappelait le pied du bœuf, faisait croire aux bonnes gens que l’animal provenait du mélange des deux races, et cette opinion, qui est tout-à-fait fausse, était au reste corroborée par l’observation de circonstances étranges dont je ne parlerai point ici. À peu près à la même époque, un homme que j’ai très particulièrement connu, le colonel Thomas Barriga, eut un cheval chez lequel la division des pieds était encore portée plus loin. Les deux jambes de devant offraient chacune trois doigts bien distincts, et même une séparation bornée seu-