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REVUE DES DEUX MONDES.


Scène II.


ALDO, seul.


Un ennemi de plus ! et c’est ainsi que je vis ! Chaque jour m’amène un assassin ou un voleur. Misérables ! vous me réduisez à l’aumône, mais vous n’aurez pas bon marché de ma fierté. Allons ! ce fat m’a fait perdre une demi-heure ! remettons-nous à l’ouvrage. La nuit s’avance ; je ne serai plus dérangé. Tout est silencieux dans la ville et autour de moi. Dévorons cette nouvelle insulte ; quand le brodequin est bon, le pied ne craint pas de se souiller en traversant la boue. Écrivons.

Travailler !… chanter ! faire des vers ! amuser le public ! lui donner mon cerveau pour livre, mon cœur pour clavier, afin qu’il en joue à son aise, et qu’il le jette après l’avoir épuisé en disant : Voici un mauvais livre, voici un mauvais instrument. Écrire ! écrire !… penser pour les autres, sentir pour les autres… abominable prostitution de l’âme ! Oh ! métier, métier, gagne-pain, servilité, humiliation ! — Que faire ? — Écrire ? sur quoi ? — Je n’ai rien dans le cerveau, tout est dans mon cœur, et il faut que je te donne mon cœur à manger pour un morceau de pain ! public grossier, bête féroce, amateur de tortures, buveur d’encre et de larmes ! — Je n’ai dans l’âme que ma douleur ; il faut que je te repaisse de ma douleur ! Et tu en riras peut-être ! Si mon luth mouillé et détendu par mes pleurs rend quelque son faible, tu diras que toutes mes cordes sont fausses, que je n’ai rien de vrai, que je ne sens pas mon mal… Quand je sens la faim dévorer mes entrailles ! la faim, la souffrance des loups ! Et moi, homme d’intelligence et de réflexion, je n’ai même pas la gloire d’une plus noble souffrance !… Il faut que toutes les voix de l’âme se taisent devant le cri de l’estomac qui faiblit et qui brûle ! — Si elles s’éveillent dans le délire de mes nuits déplorables, ces souffrances plus poignantes, mais plus grandes, ces souffrances dont je ne rougirais pas si je pouvais les garder pour moi seul, il faut que je les recueille sur un album, comme des curiosités qui se peuvent mettre dans le commerce, et qu’un amateur peut acheter pour son cabinet. Il y a des boutiques