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ALDO LE RIMEUR.

en voyant ses grimaces, en buvant du vin d’Espagne, il pourra m’arriver de tomber en convulsions. Mais ici, près de vous, de quoi puis-je me divertir ? Je vous regarde et vous trouve belle ; je suis recueilli. Vous me regardez avec bonté, je suis heureux ; vous me raillez, et je suis triste.

LA REINE.

Mais quoi ? n’y a-t-il au monde que vous et moi ? peut-on toujours vivre replié sur soi-même ? L’amour est-il la seule passion digne de vous ?

ALDO.

C’est, du moins, la seule passion dont je sois capable.

LA REINE, impatientée

Alors vous êtes un pauvre sire ; moi, je ne peux pas toujours parler d’Apollo et de Cupido. J’ai d’autres sujets de joie ou de tristesse que le nuage qui passe dans le ciel ou sur le front de mon amant, j’ai de grands intérêts dans la vie, je suis reine, je fais la guerre. Je fais des lois, je récompense la valeur, je punis le crime, j’inspire la crainte, le respect, l’amour, la haine peut-être ; tout cela m’occupe ; je vais d’une chose à une autre, je parcours tous les tons de cette belle musique dont aucune note ne reste silencieuse sous mon archet : mais votre lyre n’a qu’une corde et ne rend qu’un son. Vous êtes beau et monotone comme la lune à minuit, mon pauvre poète.

ALDO.

La lune est mélancolique. Il vous est bien facile de fermer les fenêtres et d’allumer les flambeaux quand sa lueur blafarde vous importune. Pourquoi allez-vous rêver dans les bosquets la nuit ? Restez au bal ; la brume et le froid rayon des étoiles n’iront pas vous attrister dans vos salles pleines de bruit et de lumière.

LA REINE.

J’entends ; je puis m’étourdir dans de frivoles amusemens et vous laisser avec votre muse. C’est une société plus digne de vous que celle d’une femme capricieuse et puérile. Restez donc avec votre génie, mon cher poète. Les étoiles s’allument au ciel, et la brise du soir erre doucement parmi les fleurs : rêvez, chantez, soupirez. La façade de mon palais s’illumine, et le son des instrumens m’an-