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IMPRESSIONS DE VOYAGES.

Le soir, je pris congé de tout le monde ; le général me reconduisit jusqu’à la porte du parc. Je ne sais si, en le quittant, je n’avais pas pour sa femme plus de haine que d’amour.

Je voyageai un an ; je vis Naples, Rome, Venise, et je m’étonnai chaque jour de sentir cette passion que je croyais éternelle se détacher de mon cœur. J’arrivai enfin à ne plus la considérer que comme l’une de ces mille aventures dont est parsemée la vie d’un jeune homme, dont on ne se souvient plus que de temps en temps, et qu’un jour on finira par oublier tout-à-fait.

Je rentrai en France par le Mont-Cenis. Arrivé à Grenoble, nous fîmes la partie, avec un jeune homme que j’avais rencontré à Florence, de venir visiter la Chartreuse. Je vis ainsi cette maison que j’habite depuis six ans, et je dis en riant à Emmanuel (c’était le nom de baptême de mon compagnon) que si j’avais connu ce cloître lorsque j’étais amoureux, je m’y serais fait moine.

Je revins à Paris ; j’y retrouvai mes anciennes connaissances. Ma vie se renoua au même fil qui s’était cassé, lorsque j’avais connu madame M… Il me semblait que tout ce que je viens de vous raconter n’était qu’un rêve. Seulement ma mère, s’ennuyant à la campagne, du moment où je n’y pouvais plus rester avec elle, avait vendu la nôtre, et acheté un hôtel à Paris.

J’y avais revu le général et il avait été content de moi. Il m’avait offert de présenter mes hommages à sa femme ; j’avais accepté, certain que j’étais de mon indifférence. En entrant dans sa chambre, je ressentis cependant une légère oppression. Madame M… était sortie. L’émotion que j’avais éprouvée était si peu de chose, que je n’en pris aucune inquiétude.

Quelques jours après, j’allai au bois et je rencontrai, au détour d’une allée, le général et sa femme. Les éviter eût été affecté ; d’ailleurs, pourquoi aurais-je craint de revoir madame M… ?

J’allai donc à eux. Je trouvai Caroline plus belle encore que je ne l’avais quittée ; lorsque je l’avais connue, les commencemens de sa grossesse la fatiguaient, tandis qu’alors, avec sa santé, sa fraîcheur était revenue.

Elle m’adressa la parole avec un son de voix plus affectueux qu’elle n’avait l’habitude de le faire. Elle me tendit la main, et lorsque je la pris, je la sentis frémir dans la mienne. Je frissonnai