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tout doit être en commun. Vous savez comme les mains de Michel sont alertes, vous connaissez la faconde de Volfang, et combien il persuade facilement. Quant à Vinceslas, c’est la luxure en personne, et bien que Jacob fasse l’innocent, vous n’ignorez pas qu’il y aurait du danger à lui laisser du lard dans la souricière, même pendant le carême. Si donc vous desirez nous avoir, faites que tout soit à notre discrétion, ou nous ne voulons rien. Il y a un remède cependant, c’est le cas où vous nous donneriez tant à boire, que le sommeil serait plus fort que l’amour ; nous viendrions encore pour faire main basse sur votre table, mais nous épargnerions le reste. Adieu. »


Il est peu de sujets qu’Æneas Sylvius n’ait au moins effleurés dans ses lettres. Il parle du mariage et des femmes, notamment dans la quarante-cinquième lettre, adressée à un de ses amis, nommé Pierre. Voici ce qu’il en dit :


« Je crois, dit-il à cet ami qui voulait se marier, que vous êtes heureusement tombé ; puisque vous avez rencontré une jeune fille bien élevée, qui vous convient, et qui enfin est disposée à vivre selon vos habitudes, et à y conformer ses goûts. Vous ne me parlez pas de ce qu’elle vous apporte, parce que vous n’êtes pas de ceux qui épousent une dot et non une femme. Ce que je veux, moi, en mariage, c’est une femme chaste, belle et féconde ; si ces conditions sont remplies, je n’exige rien de plus. Ah ! croyez-moi, mon cher Pierre, il est bien rare que les femmes riches ne laissent pas développer en elles-mêmes de grands défauts. On y trouve souvent l’ivresse, l’orgueil, l’humeur, la médisance et l’adultère. Ordinairement elles sont maladives, laides, stériles. Il paraît que votre petite n’a aucun de ces défauts, mais qu’elle n’est pas riche. Eh bien ! rendez grâce au ciel, puisque ce que vous possédez vous suffit, et que vous avez une place lucrative. Vous connaissez l’histoire du marquis de Saluces, qui, ennuyé des vices et des excès des cours, prit pour femme une certaine fille, nommée Griselda, qui conduisait les animaux dans les forêts. Vous savez que la vie régulière et chaste de cette épouse a servi et sert encore de modèle à toutes les femmes d’un rang supérieur ou inférieur au sien. Qui vous arrêterait dans votre dessein, puisque des princes eux-mêmes n’ont pas craint d’épouser des filles pauvres ? Pour moi, mon cher Pierre, je ne vous conseille pas de vous presser d’épouser, si, comme vous le dites, cette fille est douce et s’arrange bien avec vous. Vous avez un avantage que d’autres trouvent rarement, vous avez mis cette fille à l’épreuve avant de l’épouser. Ne vous pressez pas, il y a tant d’hommes qui sont trompés en épousant avant de connaître ! Que de défauts cachés ne découvre-t-on