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ÆNEAS SYLVIUS.

tenace, et de toutes les personnes que j’ai aimées, il n’y en a encore aucune pour laquelle j’aie pu me sentir de l’éloignement et de la haine. »

À mesure que l’on avance dans la lecture des lettres d’Æneas Sylvius, on s’aperçoit que les idées de l’âge mûr succèdent aux folies de la jeunesse. Ce qu’on vient de lire sur l’amitié donne une idée avantageuse de la solidité de l’esprit et du caractère de ce personnage, qui un peu plus loin, dans la soixante-dix-septième lettre, exprime des pensées encore plus graves sur les vicissitudes de sa vie et sur son avenir. Il était alors secrétaire impérial, et en s’adressant à Constant Frédéric, chancelier de Trieste, il lui dit entre autres choses :

« Toutes ces affaires litigieuses me fatiguent. Je veux cependant vivre pour moi et non plus pour les autres. Déjà sa majesté l’empereur m’a accordé des bienfaits qui me permettent de vivre honorablement. Aussi vais-je me retirer le plus promptement possible de tous ces ennuis misérables des cours. Et comme je vois de loin venir la vieillesse et la mort, je vais penser d’avance à faire une bonne fin ; car savoir mourir est la grande science, la seule sagesse, la vraie philosophie. Toutes les autres connaissances sont futiles. La dernière action de l’homme est la mort, et eût-on bien fait jusque-là, si l’on manque la fin, le reste perd son prix. C’est comme un poète qui néglige son cinquième acte. Oui, mon cher ami, je sens qu’il faut que je pense à faire une bonne fin. Je me suis assez amusé. J’ai été assez long-temps enfant, puis jeune homme ; j’ai assez aimé le monde, trop sans doute ! Mais l’âge m’avertit que le moment est venu de rentrer dans la bonne route, et si je ne me trompe, j’y rentrerai. Je vous engage à en faire autant, ou plutôt à persévérer dans vos bonnes directions ; car je n’ignore pas à quel point elles sont louables. Recevez mes souhaits pour la bonne santé de votre chère femme, de vos aimables filles et de votre fils. Adieu. »

Voici encore deux lettres, la quatre-vingt-troisième et la quatre-vingt-douzième, où il est question d’une aventure galante à propos de laquelle Æneas Sylvius donne des conseils à son ami Jean Frund, secrétaire de la ville de Cologne. « Je suis inquiet de savoir si vous avez reçu plusieurs lettres que je vous ai adressées depuis quelques jours, car il y en a qui renferment des choses qu’il ne serait pas bon que l’on connût. Jean, le secrétaire de Nuremberg, homme bon, savant, et qui vous porte une amitié sincère, est de retour ici. Il nous a dit qu’il vous avait laissé fort triste, à la suite, a-t-il ajouté, d’une certaine défaite que vous avez essuyée au Capitole. J’ignore quel est cet objet qui, en s’enfuyant du Capitole, a pu vous troubler si fort le cœur ; mais on nous a dit que, quand cet objet en