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est parti, vous avez éprouvé tant de chagrin, que vous en avez perdu la parole. Je n’ai pu penser qu’il fût question d’un homme. On nous a dit, en parlant de vous et de l’objet : Il était dans le Capitole, lui y allait, souvent il y a goûté des délices inexprimables ; mais enfin l’objet s’est enfui, lui ne l’a plus trouvé, et il a été au désespoir. Tout cela est bien vague ; aussi n’ai-je pu savoir au juste de qui ou de quoi il est question, et j’ai compris seulement que vous étiez fort triste, et que vous refusiez toute consolation. Mon cher Jean, je vous ai connu autrefois un homme ; comment se fait-il que vous soyez tellement changé, et qu’il y ait quelque chose au monde qui puisse aliéner ainsi votre raison ? Un homme digne de ce nom doit prévoir tout ce qui peut arriver, et se préparer à supporter les maux, s’il faut qu’il lui en arrive. C’est le seul moyen de rendre les coups du sort moins pénibles. Si un ami meurt, on doit savoir que cet ami mourra ; si vous faites une perte de biens, devez-vous ignorer que la fortune est inconstante ? et enfin si votre maîtresse vous quitte, n’avez-vous jamais pensé qu’il n’y a rien de si frivole, de si inconstant que le cœur d’une femme ? en effet, quelle vérité est plus banale ? Qui est-ce qui ignore qu’il n’y a rien de plus douteux, de plus mobile que l’esprit féminin ; que la volonté d’une femme change d’heure en heure ; que son amour ne dure pas, et qu’enfin c’est un être pétri de ruses, de fausseté et de cruauté ? De plus les femmes, qui sont infidèles avec tout le monde, le sont encore bien autrement avec les vieillards. Aussi, mon cher Jean, vous et moi, qui arrivons au soir de la vie, nous n’avons rien à espérer avec les femmes. Nous leur servons de jouets, elles se moquent de nous, et quand elles s’en rapprochent, soyez-en certain, c’est à cause de notre argent. Éloignons-nous-en donc, car elles ruineraient nos coffres et nos âmes. Il est donc vrai que si une femme vous a quitté, elle ne vous fait aucun tort, mais qu’elle est partie pour en faire à un autre ; ainsi vous n’avez vraiment qu’un sujet de joie. Je vous parle ainsi, parce que j’ai cru deviner votre aventure à travers le récit fort obscur de Jean. Si le sujet de votre chagrin est autre que je ne le suppose, soignez-vous encore, car il n’y a pas de peine que le temps n’allège. Pleurer ce qu’on a perdu ne le fait pas revenir, et comme disent les paysans, cent livres de tristesse n’acquittent pas une dette d’une once. Adieu. »


Voici la seconde lettre adressée à Jean Frund, protonotaire de Cologne :

« Il y a peu de jours que j’ai reçu de vous plusieurs lettres pleines de choses intéressantes. Comme je veux répondre à toutes, je ne sais par où je dois commencer. Cependant je me décide à suivre l’ordre que vous avez adopté, et je vous parlerai d’abord de votre jeune fille que vous avez