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ÆNEAS SYLVIUS.

en joignait d’autres non moins précieux encore : car, instruite et savante même, elle parlait avec grâce et esprit.

« Mainfroi avait souvent éprouvé le pouvoir de ces charmes. Cette beauté, cette grâce, ce laissez-aller féminin qui s’était déployé si souvent sans crainte en présence d’un frère, excitaient encore son violent amour. Parfois cependant le souvenir de l’honneur de sa famille, de la sainteté des droits de son beau-frère, et par-dessus tout ce doux nom de sœur l’arrêtaient dans l’exécution de son funeste dessein. Ce conflit de sentimens, ce combat intérieur de ses désirs et de ses devoirs, lui causèrent des tourmens si continuels, qu’il ne put bientôt plus prendre ni nourriture ni sommeil. La raison devint muette, et l’amour triompha. Profitant donc d’une absence passagère de Renaud, il alla se présenter à Syligaitha, et, non sans éprouver quelque honte et tant soit peu d’embarras, il lui ouvrit son cœur. Il lui fit entendre que, cédant à un amour qu’il ne pouvait plus vaincre, il la priait de lui pardonner sa démarche, mais que, certainement, il mourrait, si elle ne l’écoutait pas. Au même moment où il prononçait ces mots, des larmes abondantes jaillirent de ses yeux enflammés, il perdit l’usage de sa raison et prodigua confusément les prières et les menaces, comme un homme déterminé à commettre quelque violence. D’abord Syligaitha fut comme pétrifiée ; mais bientôt la fureur insensée d’un homme qu’elle connaissait pour ne rien respecter de ce qui s’opposait à ses désirs, lui rendit le sentiment de la crainte. Pâle et tremblante, elle pensa avec effroi au crime de son frère, à l’absence de son époux, et ce ne fut pas sans frémir que ses yeux rencontrèrent le lit conjugal près duquel elle était. La présence de l’incestueux Mainfroi lui fit horreur, et il n’y a pas de supplice qu’elle n’eût bravé pour s’y soustraire.

« Pendant cette cruelle alternative, et tandis que Mainfroi continuait d’exhaler ses prières criminelles, Syligaitha reprit quelque empire sur elle-même et maîtrisa sa peur. Elle fit quelques efforts pour calmer la passion désordonnée de son frère, en cherchant par ses paroles à adoucir les maux qu’il ressentait. Mais la blessure était trop profonde, et le mal avait circulé si long-temps dans les veines de Mainfroi, qu’il n’y avait plus moyen d’agir sur son esprit abattu par la souffrance. Ce n’étaient plus des conseils que demandait Mainfroi, mais un prompt remède.

« Syligaitha sentit bien que, si elle tardait à répondre, l’occasion et la violence serviraient les terribles desseins de son frère ; aussi, sans attendre le retour d’un nouvel accès de sa part et dans l’idée de sauver l’honneur de sa race, elle promit au prince criminel de se rendre bientôt à ses vœux, sous la condition seulement qu’il se retirerait à l’instant de chez elle pour se rendre deux jours après à son palais hors des murs de Caserte, où l’ab-