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les 15,000 fr. Il sortit. Alors je m’enfermai. Je venais de donner de l’or pour ces lettres ; maintenant j’aurais donné du sang pour que ce fût à moi qu’elles eussent été écrites.

Emmanuel était l’amant de Caroline depuis deux ans. Il l’avait connue jeune fille ; lorsqu’elle se maria, il partit, et l’enfant dont M. M… était si fier, il l’appelait le sien. Depuis cette époque, la difficulté de se faire présenter chez le général les avait empêchés de se revoir. Mais un jour, comme je l’ai dit, je le rencontrai au bois avec sa femme, et je fus choisi par elle et son amant pour masquer leur amour. Je fus chargé de ramener Emmanuel près de Caroline, et ces attentions, ces soins, cette tendresse même que l’on affectait pour moi, c’était pour détourner les soupçons du général, qui, après l’aveu que sa femme lui avait fait autrefois, ne devait plus, ne pouvait plus me craindre. — Vous voyez que l’intrigue était habile, et que j’avais été bien dupe et bien stupide, moi !… Mais, maintenant c’était à mon tour !…

J’écrivis à Caroline :

« Madame, j’étais hier à onze heures du soir dans le jardin, quand Emmanuel est entré chez vous, et je l’y ai vu entrer. J’étais ce matin à quatre heures dans le corridor, lorsqu’il est sorti de votre chambre, et je l’en ai vu sortir. Il y a une heure que j’ai acheté 20,000 fr. à Tom votre correspondance avec son maître. »

Le général ne devait être de retour au château que dans deux ou trois jours ; j’étais donc sûr que cette lettre ne tomberait pas entre ses mains.

Le lendemain à onze heures, je vis entrer Emmanuel dans ma chambre ; il était pâle et couvert de poussière ; il me trouva sur mon lit, comme je m’y étais jeté la veille. Je n’avais pas dormi un instant de la nuit. Il vint à moi.

— Vous savez sans doute ce qui m’amène ? me dit-il.

— Je le présume, monsieur.

— Vous avez des lettres à moi ?

— Oui, monsieur.

— Vous allez me les rendre.

— Non, monsieur.

— Que comptez-vous donc en faire ?