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REVUE DES DEUX MONDES.

— Avec moi alors ?…

— Seule.

— Jamais.

— Ne vous engagez point pour elle.

— Elle n’y consentira pas.

— Peut-être. Retournez au château et consultez-vous ensemble ; je vous donne trois jours.

Il réfléchit un instant et se précipita hors de la chambre.

Le troisième jour, Joseph m’annonça qu’une femme voilée voulait me parler en secret. Je lui dis de la faire entrer : c’était Caroline. Je lui fis signe de s’asseoir ; elle s’assit. Je me tins debout devant elle.

— Vous voyez, monsieur, me dit-elle, je suis venue.

— Il eût été imprudent à vous de ne pas le faire, madame.

— Je suis venue, espérant dans votre délicatesse.

— Vous avez eu tort, madame.

— Vous ne me rendrez donc pas ces malheureuses lettres ?

— Si fait, madame, mais à une condition.

— Laquelle ?

— Oh ! vous la devinez.

Elle s’enveloppa la tête dans les rideaux de ma fenêtre, en se renversant comme une femme désespérée ; car elle avait compris au son de ma voix que je serais inflexible.

— Écoutez, madame, continuai-je, nous avons tous les deux joué un jeu bizarre ; vous au plus fin, moi au plus fort : voilà que c’est moi qui ai gagné la partie ; c’est à vous de savoir la perdre.

Elle se tordit et sanglota.

— Oh ! votre désespoir et vos larmes n’y feront rien, madame ; vous vous êtes chargée de dessécher mon cœur, et vous y avez réussi.

— Mais, dit-elle, si je m’engageais par serment, en face de l’autel, à ne plus revoir Emmanuel ?

— Ne vous étiez-vous pas engagée par serment et en face de l’autel à rester fidèle au général ?…

— Comment ! rien, rien autre chose que cela pour ces lettres !… ni or, ni sang !… dites…

— Rien !…