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victorieux Bustamente était trop loin pour rassurer les esprits ; et Santa-Anna, si prompt dans ses résolutions, serait peut-être maître de la capitale avant que son rival eût fait un mouvement pour venir traverser ses plans, La peur exagère toujours, et chacun tremblait pour sa fortune et pour sa vie, car les souvenirs de 1828 sont récens et sanglans. Au seul mot d’émeute dans la ville, on se rappelait les malheurs que la dernière révolution avait enfantés, l’incendie et le pillage des magasins, les massacres dont tant de bons citoyens avaient été les victimes ; on voyait encore cette horde de ladreros (espèce de lazzaronis qui fourmillent à Mexico) tous déguenillés, se répandre dans les rues en poussant d’atroces vociférations. Tous les négocians et la classe aisée frémissaient à l’idée d’être encore une fois témoins de tant de scènes d’horreur et de carnage. Déjà un mouvement intérieur avait donné l’alarme ; le 25 septembre, dans l’après-midi, les prisonniers de l’Acordada (maison de force où sont renfermés douze ou treize cents malfaiteurs des plus dangereux) venaient de faire une tentative d’évasion à main armée, et ce mouvement n’avait pu être réprimé qu’en versant beaucoup de sang (il y eut une vingtaine de prisonniers de tués et quarante environ de blessés plus ou moins grièvement). Sans la promptitude avec laquelle elle fut étouffée, cette émeute aurait pu avoir des suites terribles, car les ladreros étaient prêts à répondre aux cris féroces des prisonniers. Mais le gouvernement, éclairé par cette tentative, sentit le besoin de déployer une grande énergie ; il ne négligea dès-lors aucun moyen d’assurer la tranquillité publique, laquelle, en effet, depuis ce moment ne fut plus troublée[1].

Santa-Anna avançait, mais ce n’était plus comme autrefois avec la rapidité du torrent qui bouleverse et entraîne tout : la cause

  1. M. Arthur Short, lieutenant de vaisseau en demi-solde de la marine anglaise, était en prison à l’Acordada depuis plus de deux ans ; pendant la mêlée, il fut tué dans sa chambre, sans qu’on sache positivement à quoi doit être attribuée sa mort. Seulement, son cadavre portait les traces d’une mort violente et douloureuse. Il s’était marié en 1827 à dona Maria de la Luz Iriarte, fille du riche Francisco Iriarte ; le père, irrité de ce mariage, avait tout tenté pour en obtenir la cassation, mais ses efforts ayant été vains, il avait prodigué l’or pour retenir son gendre en prison.