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LA CORNOUAILLE.

lampe de fer suspendue à l’habit et le penbas à la main ; ce sont les mineurs de Poulaouën qui se rendent chez eux. La mine elle-même apparaît bientôt, entourée de sa vaste ceinture de bâtimens fumeux, de ses immenses machines hydrauliques, dont les grands bras s’étendent sur la route avec une sorte d’intelligence, et de son gigantesque murmure, plus triste encore que le silence du désert que l’on vient de traverser. Quelques pas plus avant ce murmure s’étend ; c’est alors une confusion étrange de bruits étouffés et stridens, rauques ou doucement monotones : ce sont les grincemens des poulies chargées, les rugissemens du plomb fondu qui bondit dans les chaudières ; les hurlemens des machines ébranlées ; et dans les intervalles de tous ces éclats, le bruissement sourd et endormeur des eaux et des voix souterraines, sortant de l’ouverture de chaque puits comme la rumeur éloignée d’un monde invisible ou de quelque cité de fées !…

En continuant de marcher, vous arrivez à Carrhaix, triste ville qui s’élève au bord d’une rivière immobile. La voilà telle que les guerres de la ligue l’ont laissée ; fangeuse, délabrée, noircie, toute lépreuse de misère et d’ignorance. Là, vous trouvez la vraie Cornouaille, la Cornouaille avec ses vieilles mœurs. Carrhaix est encore une ville du moyen âge, aux rues sans pavés, entremêlées de champs labourés, de courtils verdoyans. La voie publique y fait partie de chaque demeure ; la moitié de la vie des habitans s’y passe. Les enfans mangent, assis sur le seuil ; les femmes filent en chantant devant la porte ; les vieillards sont étendus au soleil le long de la place publique ; c’est dans la rue que le pauvre bat le blé de son petit champ, que la Cornouaillaise étend le linge au sortir du lavoir. Pendant les soirs d’été, tous les habitans du quartier se réunissent devant une boutique à auvent, dont la devanture en saillie sert de siége aux jeunes filles ; c’est dans cet endroit que s’établit la veillée, que l’on raconte des ballades, que l’on chante les complaintes ou que l’on danse les rondes montagnardes. C’est là aussi que parfois un colporteur ou un maquignon équivoques viennent parler bas aux jeunes gens des dangers que court la religion et des malheurs de la famille royale ; car le Kernewote a le caractère aventureux et sauvage, il connaît les longs affûts dans les genêts, et sait comment on cache un cadavre dans une lande ou dans une carrière abandonnée.

Toute la Cornouaille, comme nous l’avons déjà dit, n’est pas empreinte de cette stérilité sauvage du canton de Carrhaix. En tournant vers Châteaulin, l’aspect change et s’adoucit jusqu’à ce qu’on rencontre la mer : là reparaissent les sites inattendus, les vues spontanées, changeantes, se déroulant et se transformant comme les décorations mobiles d’un théâtre. Montez le long des pics des montagnes noires, jetez-vous dans une de