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LA CORNOUAILLE.

dans la montagne ou quelque barque qui les attendait dans une crique du rivage ; Philopen pouvait-il comprendre d’où leur venait leur air inquiet et leur marche précipitée ? Les soldats traversaient souvent la plaine, parcourant les villages et fouillant les chaumières ; mais nul ne venait regarder dans sa cabane ouverte et vide. — Une seule fois (c’était le matin), un homme s’y était précipité pâle et haletant : peu après des soldats avaient paru aux environs. L’inconnu avait écouté le bruit de leurs pas se perdre au loin, puis il était parti sans dire un mot. — Cet homme était jeune et beau ; un enthousiasme céleste brillait dans ses grands yeux noirs ; Vergniaud avait dit de lui : C’est un fou sublime qui sera un homme de génie à trente ans. C’était le girondin Barbaroux fuyant l’échafaud.

Philopen vécut jusqu’à la vieillesse la plus avancée, toujours séparé des hommes. Mais, un matin, les pêcheurs de la côte l’aperçurent qui courait égaré le long des rochers, en poussant des cris plaintifs. Quelques jours s’écoulèrent ; on ne le revit plus. Enfin, une patrouille de douaniers, qui passait près de sa cabane, y entra : — tout y était silencieux ; — seulement, dans le fond, sur la couche de vareck, il y avait une femme raide et morte, et près d’elle Philopen assis, tenant les deux mains du cadavre dans les siennes : il était mort également.

Nous avons déjà dit que le midi de la Cornouaille était loin d’être aussi sombre que la partie que nous venons de décrire ; pour s’en assurer, il suffit de tourner vers Quimperlé. Là est l’Arcadie de la Basse-Bretagne ; la terre aux douces campagnes, aux fraîches ombrées, aux noms sonores et aux visages sourians. La ville est peu de chose ; un monastère lui donna naissance, et le calme du cloître semble encore planer sur ce gracieux village. Mais c’est la campagne qu’il faut parcourir ; la campagne entrecoupée de bois, de prairies, et qu’arrosent deux ruisseaux, aux flots bleus, qui coulent aussi harmonieux que leurs noms helléniens : l’Isole et l’Élé !… Là, vous entendrez Mathurin le joueur de haut-bois, pauvre aveugle, qui vous fera pleurer en répétant les airs des montagnes ; Mathurin, dernier écho des bardes de l’Armorique, que vous rencontrez sur toutes les routes de pardons et de fêtes, conduit par un enfant, comme l’Homère de Gérard. Là aussi vous pourrez étudier le caractère du Kernewote dans toute sa naïveté ; car, c’est à la danse, à la lutte, au cabaret qu’il faut le voir pour le connaître. Espèce de lazzarone bas-breton, chanteur, paresseux, rieur ; épandant tous ses sentimens au-dehors en larmes ou en cris joyeux ; sans rien de cette majesté grave qu’affecte l’homme du Léonnais dans sa marche ferme et posée ; mais curieux, nigaud, flaneur comme l’écolier que rien ne presse et qui regarde partout ; sérieux dans sa haine pourtant et facile à pousser à la révolte ! car, chez lui, la lutte