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LA CORNOUAILLE.

Et c’est une danse à voir, sur ma parole ; une danse chancelante, furieuse, entremêlée de rugissemens de joie et de hoquets d’ivrognes ; une danse en rond dans laquelle on voit passer, comme en une roue vivante, les visages de femmes chauds de vin et de plaisir, les têtes d’hommes flottantes d’ivresse ; et ce grand cercle mouvant, palpitant, hurlant, tourne, tourne sans cesse, comme un ramas de feuilles d’automne emportées par un tourbillon. Nulle mollesse dans les pas, nulle élégance dans les poses, rien de cette grâce voluptueuse de nos salons, de ces attitudes agaçantes de nos jeunes couples passant dans une atmosphère de parfum, les haleines mêlées et les bras enlacés ; mais la danse nerveuse et gaillarde, qui frappe la terre du talon et saute les pieds en dedans, la danse qui rit, qui bondit, qui hurle, la brutale qu’elle est, une vraie ronde de Sioux autour d’un captif qu’ils vont scalper. Ce bal dure jusqu’au soir ; alors la jeune épouse et son mari sont solennellement placés dans le lit clos. Le Veni Creator est chanté en chœur par les assistans ; puis tout le monde se retire, sauf les deux veilleurs qui passent la nuit dans la chambre nuptiale. En certains cantons ces veilleurs sont le garçon et la fille d’honneur. Ils doivent tenir une lumière entre leurs doigts, et ne se retirer que lorsque la flamme est descendue jusqu’à leur brûler la main. À Scaër, les veilleurs sont chargés de donner au marié, pendant toute la nuit, des noisettes qu’il doit casser ; mais tous ces usages tombent en désuétude presque partout. Il en est de même de celui qui faisait consacrer à la Vierge les trois premières nuits du mariage. En Cornouaille, ainsi qu’ailleurs, les croyances ont tiédi, et les mœurs, comme ces pièces de monnaie auxquelles la circulation a ôté leur empreinte originelle, ont perdu leur caractère primitif.

Jusqu’à présent, pour faire connaître le Kernewote, nous l’avons peint dans les grandes occasions de son existence, à l’un de ces momens où l’âme se montre naïvement et sans y penser ; le reste de sa vie ne dément pas cette manifestation de caractère. C’est toujours sa nature vive, impressible, mélangée d’élans de joie et de rapides mélancolies ; c’est en même temps l’Arabe conteur et l’Italien ami du chant, des improvisations et de ces combats arcadiens engagés entre deux poètes de village. Il se montre en outre, comme ce dernier, avide de représentations extérieures et de symboles. Il associe tout ce qui l’environne à sa joie ou à sa douleur. S’il meurt quelqu’un dans sa maison, les ruches d’abeilles sont entourées de banderoles noires en signe de deuil ; si, au contraire, un mariage a lieu, s’il naît un garçon, si la moisson est plus belle que de coutume, une étoffe rouge les entoure comme marque de réjouissance. L’absence de ces formalités ferait fuir les abeilles, car ce serait les exclure