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LA CORNOUAILLE.

préserver du tonnerre. Cette dernière fête, qui se célèbre la nuit, présente un spectacle unique dans les montagnes. On entend des chants et des cris de joie s’élever de toutes parts. La campagne brille de mille feux en plein air, autour desquels on voit de loin tourner des ombres : on dirait la danse des courils. Ces feux sont allumés par les prêtres qui parcourent processionnellement les villages avec un cierge béni. Dans certains endroits, un ange descend du clocher de la paroisse, une torche à la main, et allume le principal feu de Saint-Jean qui est formé dans le cimetière. Pendant ce temps, une musique singulière se fait entendre de toutes parts ; c’est un mélange de sons métalliques, et de vibrations d’harmonica dont rien ne peut rendre l’effet galvanique. Les paysans obtiennent cette harmonie étrange en fixant deux brins de jonc aux deux côtés d’une bassine en cuivre, dans laquelle ils ont préalablement jeté de l’eau et un trousseau de clés. Ces joncs, légèrement caressés par le doigt, produisent une vibration qui, en se communiquant aux parois du vase, à l’eau et aux clés, forme un inexpliquable mélange de notes pointues et veloutées, agaçantes et assourdies, dont aucun instrument ne peut donner l’idée. De tous côtés vous rencontrez de jeunes filles en habits de fêtes accourant pour danser autour des feux de Saint-Jean. Elles ne doivent revenir au logis que lorsqu’elles en ont visité neuf, si elles veulent se marier dans l’année. — On oblige aussi les chevaux et les autres animaux domestiques à sauter par-dessus les flammes, afin de les préserver de maladies.

L’hospitalité des montagnards est renommée. Lorsque vous entrez chez eux, ils ne manquent jamais de vous offrir du cidre dans le pichet commun ; refuser de boire serait leur faire une insulte qu’ils ne vous pardonneraient pas. Quant à leur ignorance, elle est profonde et s’étend même jusqu’à la culture des terres qu’ils sont loin d’entendre aussi bien que les autres habitans de la Basse-Bretagne. Ils ne semaient guère, il y a encore une dizaine d’années, que de l’orge et du sarrazin. Depuis peu, les pommes de terre sont cultivées chez eux, mais en assez petite quantité, et le blé noir est resté la base de leur nourriture. Aussi lorsque cette récolte, très chanceuse de sa nature, vient à leur manquer, la disette est horrible. Ils quittent alors leur pays et se répandent dans les fécondes plaines du Léonnais, terres bénies que ne frappe jamais le souffle de Dieu. Il y eut en 1816 une émigration de ce genre de la moitié des populations des chaînes de l’Arès. On les voyait descendre par centaines le long des montagnes, et puis déborder dans nos campagnes et nos villes ; hommes, femmes, enfans, tous pâles de faim, et chantant d’une voix lugubre les complaintes de la Cornouaille. Cette irruption d’hommes à besaces et à chapelets fut quelque chose d’impossible à peindre ; c’était à faire dresser les cheveux