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LA DOUBLE MÉPRISE.

au regret des sacrifices, si le plaisir et l’exaltation en finissant laissent au fond de l’âme une tristesse immense et inconsolable, si la beauté ou le génie sont incapables de réaliser leurs promesses, le cœur, plus sûr de lui-même, plus circonspect dans ses engagemens, plus défiant et plus loyal, s’expose rarement au même danger.

Le devoir accompli religieusement, en vue d’un perfectionnement individuel, est laborieux, sévère ; souvent le courage fait défaut avant l’achèvement de la tâche. L’esprit irrésolu, sans quitter la voie où il est entré, marche paresseusement et sans trop s’inquiéter si le but se rapproche.

L’amour de cœur change la nature et le caractère du devoir, en l’identifiant perpétuellement avec le bonheur de la personne aimée.

De ces trois amours, M. Prosper Mérimée a choisi le plus dangereux, l’amour de tête. — Je ne veux pas raconter, même brièvement, la Double Méprise. C’est une lecture de deux heures que je gâterais bien inutilement. — Qu’il me suffise de dire que les trois caractères principaux sont tracés de main de maître. M. de Chaverny représente admirablement l’égoïsme brutal et grossier. Julie de Chaverny réunit toutes les conditions qui préparent à l’amour de tête. Quant à Darcy, c’est un type achevé de l’égoïsme poli. — Et c’est pourquoi le titre du livre n’est pas justifié, car il n’y a pas double méprise. La déception n’atteint que Julie de Chaverny.


GUSTAVE PLANCHE.