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Boubonne, mot dont j’ignore la signification, ou encore Sourong-Setane, c’est-à-dire trou du diable en langue tartaro-chinoise, qui n’a aucun rapport avec celles qu’on parle au Bengale. Peu de personnes ont vu cette caverne qui se trouve hors du territoire de la Compagnie et chez un peuple que la crainte des Européens rend féroce envers eux. Curieux de visiter les enfers dont je n’ai vu la description que dans les poètes, j’ai pris toutes les instructions nécessaires pour aller à Boubonne sans danger. C’est demain que je me mets en route, et si mon journal en reste là, il faudra t’en prendre au diable. J’avais expédié hier un ambassadeur au roi côsiah, pour lui demander la permission d’entrer dans ses états, et, comme un homme qui sait son monde, j’avais appuyé ma demande de deux aunes de drap rouge propre à faire un manteau à sa majesté. Il est à croire qu’elle fut très sensible à cette attention, car elle m’envoya aussitôt quatre de ses officiers pour me porter son auguste autorisation. Le premier tenait en main la royale boîte au bétel, et m’invita à y prendre une chique, ce qui passe ici, comme à Sumatra, pour une insigne faveur ; le second couvrit ma table de six paquets d’oranges de choix, renfermées dans des sacs en filet ; le troisième me présenta une flèche dont la pointe brisée indiquait qu’on ne me ferait pas de mal, et le quatrième, enfin, m’offrit un collier en œufs de tortue garnis d’or, avec un bel oiseau rouge, qui prévient les maris, me dit-il, quand leurs femmes les trompent. Je le réserve pour quelques personnes de ma connaissance.

Je reçus l’ambassade dans mon bazarra, et, comme depuis long-temps je m’occupais de recherches sur ces peuples, je profitai de la présence des quatre envoyés pour leur faire des questions qui devaient fortifier ou changer mes idées. La conversation dura deux heures. J’en passai deux autres à écrire ce que j’avais vu et entendu, et je termine la journée, comme à l’ordinaire, en t’en faisant le rapport. Tu voudras bien m’excuser, ma chère belle, si je ne lui donne pas plus d’étendue, quand j’aurais tant de moyens de le rendre intéressant. Mais c’est précisément cet intérêt-là qui me rend le temps rare et précieux. Plus je vois, moins je puis t’écrire, et je serai peut-être obligé de terminer mon récit, quand j’aurais dû le commencer. J’ai peu d’instans à moi ; après avoir re-