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LETTRES SUR L’INDE.

cueilli, il ne me reste plus assez de temps pour travailler, et, à plus forte raison, pour m’amuser. Dans ce maudit pays, le travail finit avec le jour. Quand vient la nuit, on est tellement persécuté par les moustiques et les punaises, qu’il n’est pas même possible de lire avec fruit. — Adieu.


18 septembre.


J’ai fait hier une des courses les plus pénibles de ma vie, et je t’écris encore tout malade de mon voyage à la caverne du diable. J’ai beau m’attendre, comme Scapin, à tout ce qui peut m’arriver de pire, j’étais loin de prévoir tant de fatigues et de contrariétés. À cinq heures du matin, tous mes gens étaient prêts et je quittai mon bazarra par le plus beau temps du monde. J’avais pour m’accompagner quarante soldats hindous, un interprète, mes domestiques, la moitié de mon petit équipage, les quatre chefs côsiah qui m’avaient rendu visite et une foule d’Indiens qui profitaient de l’occasion pour faire un pèlerinage à la caverne. La pluie qui tombe journellement dans cette saison avait rendu les chemins affreux, et je n’avais pas fait cent pas, que déjà ma belle veste blanche et ma chemise à jabot étaient crottées jusqu’au collet. Je songeais avec embarras à ma présentation au roi des montagnes, lorsqu’au beau milieu d’une plaine nous fûmes surpris par un orage comme on n’en voit qu’ici. Il pleuvait à verse, et l’on voyait s’échapper des montagnes une infinité de filets d’eau qui devinrent bientôt des torrens. Il eût été sage de revenir, mais j’étais pressé et trempé et surtout las d’attendre. Je m’armai donc d’un beau courage, ou plutôt d’un solide entêtement, et je poursuivis ma route malgré les murmures de ma suite, qui n’était pas aussi curieuse que moi. J’avais ouï dire que les rois s’amusent quelquefois à faire morfondre leurs courtisans. Je voulus goûter de la royauté, et je trouvai, en effet, fort divertissant de faire enrager cent personnes qui ne m’en faisaient pas moins des révérences et des complimens. Plus nous avancions, plus le sol devenait marécageux. Les champs étaient submergés ; on ne distinguait plus aucun sentier, et, malgré mes guides, nous étions souvent dans la bourbe jusqu’à la ceinture. Ce ne fût qu’après quatre heures de