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autre interprétation nous semble avoir porté plus de ravage encore dans les croyances de l’antiquité, c’est celle qu’introduisit Euhemère sur lequel je regrette que notre auteur n’ait écrit qu’une phrase. Euhemère ou Evehmère, ami de Cassandre de Macédoine, selon quelques-uns, imagina une fiction dans laquelle il raconta qu’après plusieurs jours de navigation sur l’Océan, il aborda dans une île remarquable entre toutes celles qui l’avoisinaient, l’île de Panchée. Les habitans honoraient les dieux par de riches offrandes et d’opulens sacrifices. Sur le sommet d’une haute colline s’élevait le temple de Jupiter Triphilien, que ce Jupiter avait bâti lui-même, pendant qu’il était parmi les hommes, et commandait à la terre. Au milieu du temple, on remarquait une colonne où étaient brièvement indiqués dans la langue panchéenne les exploits d’Ouranos, de Kronos et de Jupiter. Ouranos avait régné le premier, homme d’une équité singulière, bienfaisant envers les hommes et connaissant les révolutions des astres ; le premier il honora par un culte les divinités du ciel, ce qui lui valut le nom d’Ouranos. Il eut de sa femme Vesta deux fils, Titan et Kronos, et deux filles, Rhéa et Cérès. Kronos lui succéda, et ayant épousé Rhéa, il eut d’elle Jupiter, Junon et Neptune. Jupiter régna après Kronos, et prit pour femme Junon, Cérès et Thémis : de Junon, il eut les Curètes ; de Cérès, Proserpine, et de Thémis, Minerve. Il s’en alla ensuite à Babylone, chez le roi Belus ; de retour à Panchée, il éleva un autel à son aïeul Ouranos ; puis il visita de nouveaux pays, la Syrie où régnait Casius, la Cilicie dont il vainquit le roi Cilex. Il parut encore chez d’autres nations, et de toutes il reçut le nom et le culte d’un dieu[1]. Voilà comment Evehmère s’amusait à troubler la religion officielle : Jupiter n’était plus qu’un prince belliqueux, aimant à courir le monde, fils de Kronos, du temps ; petit-fils d’un pieux astronome, Ouranos, conquérant, homme honoré par les hommes. La théogonie merveilleuse n’était-elle pas fortement ébranlée par de semblables variations ? Voyez sur ce point l’indignation de Cicéron : Quid ? qui aut fortes, aut claros, aut potentes viros tradunt post mortem ad

  1. Diodore de Sicile, fragm. liv. vi, t. iv. Édition de Deux-Ponts, d’après celle de Wesseling.