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FÊTES DE LA JURA.

le Callejon del infierno, l’un des passages voûtés qui y donnent entrée, il y avait au-dessus de l’échoppe d’un savetier une vierge del Carmen, comme on en voit encore partout à Madrid, en des niches, sous les portails des maisons et au coin des rues. — On renvoya d’abord, bien entendu, le savetier ; — mais la pauvre vierge n’obtint pas grâce davantage. On la chassa impitoyablement de cette résidence, dont elle était en possession depuis tant d’années ! On badigeonna brutalement toutes les indulgences qu’elle accordait, et dont la liste était sur le mur.

En voyant ces profanations, quand ils passaient près de la Plaza-Mayor, les vieux chrétiens de Madrid, — los christianos viejos, — ceux qui se disent et se répondent encore en se saluant : — Ave Maria purissima ; — Sin pecado concebida ; ceux-là levaient tristement les yeux au ciel et s’écriaient en pressant le pas : — Valgame Dios.

Mais pour les esprits attentifs, il y avait là une curieuse occasion d’observer et de reconnaître cet invincible mouvement du siècle qui va, — qui va, — renouvelant partout toute chose. — C’était donc de l’Espagne, — c’était des royaumes de sa majesté catholique que le catholicisme s’en allait aussi ! — Et c’étaient ces fêtes au moyen desquelles il s’agissait presque de ressusciter le moyen âge, qui fournissaient elles-mêmes naïvement des preuves de l’affaiblissement universel des croyances apostoliques ! — Qui pouvait nier cette évidence ? Quelques-unes des vagues de ce torrent de doute et d’incrédulité qui a inondé la France très chrétienne, commençaient à franchir les Pyrénées et à se répandre sur la péninsule très catholique.

Quant aux amateurs de taureaux, dont le nombre est grand à Madrid, fort peu préoccupés de réflexions philosophiques, et laissant d’ailleurs facilement se taire leurs scrupules religieux, c’était avec une joie pure de tout mélange qu’ils avaient vu se dresser le théâtre des fêtes somptueuses qu’on leur préparait. Tant qu’avait duré la construction du cirque, il ne s’y était guère enfoncé un poteau ou posé un banc hors de leur présence, ou sans qu’ils l’eussent constaté.

Cependant les séides du carlisme ne négligeaient rien de leur côté pour refroidir l’ardeur des aficionados et pour effrayer d’a-