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FÊTES DE LA JURA.

qu’il pouvait bien se retirer sans déshonneur devant une armée entière.

Ce fut alors qu’appelé par des voix qui le défiaient, il se retourna brusquement. — Manzano, l’un des caballeros, venait à sa rencontre, assisté de ses quatre matadors. Le combat devenait plus égal ; il commença vite, et ne fut pas long.

Le cavalier s’était avancé seul, droit en face du taureau : dès qu’il fut à deux pas de lui, il leva le bras pour le frapper ; mais en même temps qu’il lui brisait son rejoncillo dans le cou, il tombait lui-même sous son cheval éventré.

Tandis qu’on se levait partout, tandis qu’on montait sur les bancs, qu’on se penchait aux balcons pour mieux voir le malheureux Manzano, que les chulos emportaient blessé de sa chute, le taureau, blessé lui-même, mais non pas à mort, courait, plus furieux, chercher de nouveaux adversaires.

En un instant, non sans avoir été percé de deux autres rejoncillos, il eut renversé deux des autres chevaliers, Cordoba et Villaroel, qui se relevèrent pourtant cette fois et sortirent de l’arène pour prendre d’autres chevaux, ceux qu’ils montaient ayant été tués sur la place comme celui de Manzano.

Épuisé par ses trois blessures et par la perte de son sang, qui coulait à flots, l’animal s’abattit enfin mourant, et un chulo l’acheva d’un coup de cachete entre les cornes.

Cette première bataille avait été déjà bien sanglante. Celles qui la suivirent ne le furent pas moins. L’intérêt de ce grand drame était poignant ; l’action ne languissait pas un seul moment. À peine un taureau succombait-il, à peine les attelages de mules l’avaient-ils enlevé de l’arène ainsi que les chevaux qu’il avait déchirés et tués avant de l’être lui-même, aussitôt un autre taureau reparaissait, et le carnage recommençait. Six de ces vaillans animaux furent encore combattus avec des chances diverses par les chevaliers rejoncadores.

Villaroel fut le plus maltraité de tous. Un petit taureau de la Navarre, auquel une légère blessure à l’épaule n’avait rien ôté de ses forces, et qu’elle avait au contraire irrité davantage, s’élançant avec une incroyable rapidité vers le caballero, qu’il prit en flanc à l’improviste, d’un coup de corne lui cloua le mollet sur le ventre