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PHILIPPE DE MORVELLE.

que par ses lettres et par sa réputation d’habileté en affaires. Il était d’une taille ramassée et d’une complexion épaisse ; sa figure, très large et très rouge, lui donnait, au premier aspect, un air de bonhomie ; mais un regard fin qu’il dirigeait en-dessous vers son interlocuteur, et un demi-sourire qui se dessinait aux deux coins de sa bouche, ne tardaient pas à dévoiler un esprit plus rusé que ne semblaient le comporter sa tournure matérielle et la vulgarité de son langage. — Oh ! vraiment, monsieur le comte, dit-il avec un accent comtois très prononcé, allongeant toutes les voyelles brèves et traînant la voix sur l’avant-dernière syllabe de chaque membre de phrase ; vraiment oui, je m’occupais de vous, c’est-à-dire de mon dernier supplément à la liste de messieurs les électeurs. La voilà close enfin, grace à Dieu : voyez ! Mon bureau est couvert de titres, d’actes d’inféodation, de brevets, de charges portant noblesse ; il faut regarder de près tout cela ; si tous les noms étaient aussi anciens que le vôtre, nous n’aurions pas tant de peines à prendre.

— Je suis sûr, monsieur, répondit le comte sans paraître sensible à cette flatterie, qu’aucun titre faux ou insuffisant n’échapperait à votre sagacité. J’arrive un peu tard pour un candidat, faute d’avoir fait entrer en ligne de compte les accidens de voyage. J’aurais dû être ici avant tous les autres, mais n’y pensons plus. Savez-vous quelque chose de définitif sur les dispositions de ces messieurs ?

— Oh ! mais, reprit le bailli, il y a là, comme en tout, du pour et du contre. On dit que vous avez un beau nom, et que pour l’honneur vous êtes sans reproche ; mais on dit aussi que vous pourriez bien adhérer au doublement du tiers.

— Oui, certes, dit le comte, j’y adhère.

— Et c’est là le mal, répliqua le bailli, c’est là le mal ; ou plutôt il n’y en aurait aucun, si, tout en adhérant, puisque c’est votre idée, vous laissiez croire à ces messieurs que…

— Non, repartit M. de Morvelle avec vivacité, un homme d’honneur doit avoir le courage d’avouer son opinion, et je l’aurai.

— C’est à merveille, dit le bailli d’un ton ironique ; mais voyez-vous, monsieur le comte, qui veut la fin veut les moyens : vous y réfléchirez ; le plus pressé est de vous mettre en rapport avec certaines personnes qui, selon moi, feront la pluie et le beau temps dans