Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 4.djvu/215

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
211
PHILIPPE DE MORVELLE.

À ces mots, les groupes se séparèrent, et tous les convives, se pressant l’un l’autre, formèrent un cercle vers la porte : ceux qui étaient aux premiers rangs s’empressèrent de serrer la main au candidat, et les paroles suivantes sortirent presque à la fois d’une douzaine de bouches : « Monsieur, votre nom, — votre réputation, monsieur, — monsieur, vos principes bien connus — nous faisaient une loi, — un devoir de vous inviter, monsieur, non pour vous faire passer un examen, — pour vous mettre sur la sellette ; — non, monsieur, mais pour vous faire voir que vous avez ici des amis. » Toutes ces démonstrations terminées, le comte fut installé à table à la place d’honneur, chacun s’assit, et le souper commença.

Ce fut alors que M. de Morvelle put observer à loisir ses nouveaux amis politiques. La plupart étaient encore jeunes, et les plus âgés paraissaient affecter la mise et les manières de la jeunesse. Il y avait trois ou quatre uniformes, une croix de Saint-Louis, et plusieurs croix de Malte. Quant aux discours, ils étaient d’assez bon ton, sans éclat de voix, sans accent provincial, quelquefois un peu lestes, souvent hardis et ironiques. Quoique le souper fût, à proprement parler, un banquet politique, la politique ne fut pas tout d’abord le sujet de la conversation. On parla de femmes, de chevaux, de spectacles, de voyages, de pertes au jeu ; on conta des anecdotes plaisantes ou scandaleuses, on s’étendit sur les ridicules de la province, sur les graces du parler comtois, sur la morgue campagnarde et la lourdeur parlementaire. — Oh ! quel ennui ! quelle dose d’ennui ! s’écria l’un des plus jeunes convives : ma chère province, province chérie, je ne serai jamais assez loin de toi !

— Et où t’en iras-tu, mon pauvre Charencey, pour esquiver l’ennui ? dit un officier qui portait l’uniforme du régiment de Bourgogne : ce vieux monde est partout le même, c’est-à-dire assommant. Et puisqu’on parle de faire du neuf, je demande qu’on le mette sens-dessus-dessous ; au diable tout ce qui est, et vive tout ce qui n’est pas !

— Mais ce que tu dis là, chevalier, n’a pas le sens commun, répliqua le marquis de Charencey ; on ne peut retourner le monde comme on retourne un gant ; en fait d’abus, il faut savoir ce que l’on veut réformer.