Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 4.djvu/292

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
288
REVUE DES DEUX MONDES.

Pense qu’on t’a mis en main une sœur, et non une épouse. Caresse-la en particulier comme une sœur, appelle-la ta femme en public, mais ne va pas plus loin ; ne cherche pas même, si tu tiens à la vie, à porter tes regards indiscrets dans les ténébreuses profondeurs de ce mystère que je découvrirai à tes yeux quand il en sera temps. Tu frémiras alors des dangers que tu cours en ce moment, et le reste de tes jours tu trembleras au souvenir des désirs imprudens que tu as osé former.

Baltadji-Méhémet n’était pas encore revenu de sa surprise, lorsque l’Imam qui avait célébré la bénédiction nuptiale, entra dans la chambre, tenant d’une main un flambeau allumé, et de l’autre un bâton de cire parfumée, semblable à la cire dont on se sert pour sceller les ordres de la maison du sultan.

Le saint homme de Dieu apposa, sans dire une parole, l’empreinte de sa bague sur la porte qui conduisait à l’appartement de la Koutoudji ; puis il se retira en annonçant que chaque soir il viendrait remplir le même devoir, et que chaque matin il briserait le scellé qui devait rester sur la porte pendant toute la durée de la nuit.

Après cette bizarre cérémonie, Nuh-Effendi et l’Imam se retirèrent en souhaitant à Méhémet une nuit solitaire et tranquille.

Baltadji-Méhémet passa la nuit dans les larmes, et il se promena jusqu’au jour de long en large dans sa chambre, attendant avec impatience que le soleil se levât et vînt le délivrer des tristes réflexions qui l’accablaient.

À peine le chant des muezzinns, appelant les fidèles à la première prière, avait-il retenti sur les hautes galeries des minarets, Méhémet sortit de sa chambre pour aller respirer l’air rafraîchissant du matin.

Mais les salles basses de la maison étaient déjà remplies de parens, d’amis et de visiteurs qui venaient le féliciter sur le bonheur ineffable dont le ciel avait bien voulu le combler ; car la beauté de la Koutoudji, célèbre dans toute la ville de Stamboul, lui avait fait autant d’envieux qu’il y avait d’hommes de goût dans la populeuse capitale de l’empire des Osmanlis.

Chacun de ces regards d’envie, chacune de ces félicitations qu’il recevait, lui déchiraient l’ame ainsi que des coups de poi-