Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 4.djvu/303

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
299
LITTÉRATURE ANGLAISE.


délaissées ; la muse cesse d’être naïve et passionnée ; des fleurs artificielles dans les cheveux, couverte de lourdes et prétentieuses broderies, elle quitte les grandes forêts, les torrens majestueux, et va, la harpe à la main, s’asseoir dans les grottes artificielles, aux pieds des cascades factices, auprès des nymphes de pierre et des faunes aux pieds fourchus. On peut en grande partie attribuer cette tendance à Johnson, qui, dans une série de critiques dont l’on doit admirer la sagacité et l’ironique finesse, prit à tâche de dénier la plupart des qualités poétiques auxquelles Cowper et Burns doivent leur immortalité. Il tourna en ridicule les poésies basées sur la nature et la réalité, en élevant la versification acérée de Hoole au-dessus de la simplicité enthousiaste de Fairfax ; il fit de l’art du poète une amplification monotone et laborieuse plutôt que l’expression vive et variée d’un sentiment parti du cœur.

Pendant cette seconde période, la prose anglaise a beaucoup plus de nerf que les vers, et l’on peut mettre en doute qu’elle soit jamais tombée aussi bas que la poésie[1]. Plusieurs hommes d’une trempe forte s’élèvent

    troversée. Il est aujourd’hui reconnu que Macpherson, homme de talent, s’est mis à la place d’Ossian, le barde d’Erin, et que les chants primitifs de l’Écosse et de l’Irlande n’ont rien du caractère emphatique et sombre, vaporeux et monotone, que Macpherson leur a prêté. Il était, selon nous, indispensable de ne pas oublier Édouard Young, esprit puissant, fécond et incomplet, créateur de l’école de poésie funèbre, et de citer Warton comme ayant donné le signal des études sérieuses et du retour à la nature. Quant à Johnson, il n’a jamais eu d’influence comme poète ; et Falconer, bon versificateur, poète descriptif agréable, ne peut être mentionné à côté de Churchill, dont le vers acéré, vigoureux, brûlant, admirable de concentration et de concision, fit périr Hogarth dans l’agonie du désespoir. Quant au maniéré Darwin (qui a eu cependant son école), quant à la sentimentale et froide miss Seward, quant au poète didactique Hayley, leur mérite, aujourd’hui oublié, s’élève précisément au niveau de celui qui distinguait les versificateurs de l’empire, immédiatement au-dessous de M. Esménard et de M. de Lormian. Chatterton le suicidé, poète de génie et tout-à-fait à part, méritait aussi d’être nommé ; Wolcott, ou Pierre Pindare, satirique grotesque, nous semble peu digne de cet honneur. Il fallait peut-être aussi séparer les intelligences fortes, Savage, Young, Churchill, Chatterton, qui se sont frayé une voie isolée, de ces petits poètes qui ne sont que la queue traînante de l’école de Pope : Hayley, Darwin, Wolcott, et miss Seward.

  1. Il serait plus exact de dire que cette époque fut le règne de la prose et de l’éloquence anglaise. Junius et Burke, les deux modèles de l’éloquence politique, appartiennent à ce temps : Gibbon, le plus érudit et le plus brillant des historiens modernes,