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LITTÉRATURE ANGLAISE.

mais il use de sa science sans effort ; il la distribue comme la lumière dans un tableau : elle est toujours visible et toujours à sa place. Pour la pompe pittoresque des récits, pour la netteté du raisonnement, pour le talent de grouper les personnages et les faits, ou d’exprimer en quelques lignes le résultat de plusieurs faits, je le regarde comme sans rival. Il prodigue les ornemens, souvent il nous donne un sarcasme pour une opinion, un trait d’ironie pour un raisonnement ; mais on retrouve chez lui ce que nous avons déjà dit de Johnson : chaque mot porte un sens profond, et chaque phrase est pleine de pensée.

Pendant que l’histoire s’élevait si haut, l’éloquence n’était pas tombée dans l’oubli. Burke vient, il prononce ces discours[1] auxquels peut-être on ne trouve rien à comparer, ni dans les temps anciens, ni dans les temps modernes, pour la beauté classique, la vigueur et la noblesse. Burke nous apparaît comme un géant parmi de grands hommes, les Pitt, les Fox, les Grattan[2], les Sheridan.

À cette époque, les nations subirent un changement social et politique dont l’influence rejaillit jusque sur notre littérature. L’Amérique devint république : la France essaya de l’imiter. Fils de ces puritains victimes de leur foi consciencieuse et de leur besoin d’indépendance, le peuple

  1. Les discours de Burke, si remarquables comme œuvres d’art, comme compositions de cabinet, comme essais polémiques, ne produisaient aucun effet sur le parlement. Dès que William Burke se levait pour parler, les bancs de la chambre des Communes se dépeuplaient : « Now, Burke is beginning, let us go to dinner : Burke commence ; allons dîner ! » Le grand homme restait environné de quelques amis complaisans. L’éloquence parlée demande en effet plus d’abandon, de laisser-aller, de naïveté, de simplicité ; elle doit ressembler davantage à une causerie familière. La gloire de Burke ne repose pas seulement sur ses discours, mais sur ses œuvres politiques et métaphysiques, et spécialement sur le Traité du sublime, et les Observations sur la révolution française. On y chercherait en vain la chasteté sévère de Junius ; mais jamais aucun écrivain n’a jeté, sur les idées métaphysiques et sur la sécheresse des discussions, un voile plus brillant, une couleur plus ardente. Il est difficile de réunir avec plus de bonheur l’énergie de la dialectique et l’éclat du coloris. Comme orateur, il était souvent battu par Fox, improvisateur facile et diffus, et par Sheridan, qui ne parlait que par épigrammes.
  2. Thomas Grattan, de famille irlandaise, comme Burke et Sheridan, était souvent de très mauvais goût ; mais il avait de la finesse, de l’énergie, de l’audace, et une extrême facilité d’improvisation. L’auteur aurait pu lui associer Curran, autre orateur irlandais, avocat, doué d’une éloquence vive, quelquefois emphatique, mais toujours pleine d’effet.